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Channel: EMMILA GITANA
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LA NAISSANCE DU JOUR...EXTRAIT

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 …Un faible sirocco, silencieux, va d’un bout de la chambre à l’autre. Il ne ventile pas plus la pièce que ne ferait un hibou prisonnier. Quand j’aurai quitté ces pages, couleur de jour clair dans la nuit, j’irai dormir sur le matelas de raphia, dehors.
Le ciel entier tourne, sur la tête de ceux qui reposent à la belle étoile, et, si je m’éveille une ou deux fois avant le grand jour, la course des larges étoiles, que je ne retrouve plus à la même place, me donne un peu de vertige… Certaines fins de nuits sont si froides que la rosée, à trois heures, se fraye un chemin de larmes sur les feuilles, et que le long pelage de la couverture d’Angora s’argente comme un pré…

 

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COLETTE

 

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susan ryder

Oeuvre Susan Ryder

 


L'HOMME, LA PAIX ET LES LARMES...Extrait

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N’oublions pas que les premiers poètes et les premiers imagiers ont été d’instinct les chantres des sources, des gerbes, des faucilles, des charrues et des poteries. Ce n’est point que l’abstraction manquât de leur temps. Non, les richesses inscrites et comme fumantes dans le spectacle des choses leur semblaient suffire à tout emportement de plus haute essence. Aussi ce ne sont ni les peintres ni les poètes qui ont rompu toutes relations avec les simples, mais les ministres, mais ceux qui croient que la conception, les spirales de la subtilité pure, le romantisme ou l’ascétisme social comme volonté, ou l’audace des conseils de cabinet changeront quoi que ce soit au chant de l’alouette, à la récolte des pommes de Normandie, aux pluies, aux vents, aux nids, à cette éternelle navette que font les poules et les oies de la grange à l’abreuvoir, du potager au jardin, de la basse-cour à la lisière. Là-bas où sont les fermes, les possibles demeurent inconnus. Un chêne est un chêne, un cheval un cheval, et une mauvaise année une mauvaise année. Et rien de plus. L’esprit de l’homme est impuissant contre l’énergique distribution de cet échiquier. Il le voudrait, et Dieu sait qu’il ne s’en prive guère, il le voudrait qu’il n’y pourrait rien – sinon détruire ! Vues d’assez haut, de ce promontoire virgilien où le monde apparaît avec ses paysages de confiance et ses dieux agrestes, les guerres ne sont que des entreprises de l’esprit contre la matière, des révoltes cycliques de l’idée contre le sillon, le bouleau, l’écureuil, le goujon, le seigle, le lard, l’échelle ou le bœuf. Car l’idée s’irrite toujours devant l’indifférence que lui témoigne l’herbe ou le granit.

 

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LEON PAUL FARGUE

 

 

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tham2_

Photographie Thami Benkirane

https://benkiranet.aminus3.com

 

 

 

 

 

 

 

PIERRE RABHI - L'EVEIL DES CONSCIENCES

ANALOGIE

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Elle se surprit à rêvasser à la fenêtre. Le paysage d’un jour d’octobre la portait à la mélancolie. Elle venait d’éplucher des pommes. Ses mains avaient encore un goût sucré, elle les lécha comme un enfant. L’odeur de ces pommes était évocatrice.

Dans le jardin de ses grands-parents, un très vieux pommier refleurissait chaque année. Il offrait une maigre récolte de fruits acides, immangeables, mais jamais il ne fut question de l’abattre. L’arbre avait survécu à deux guerres, à des dizaines d’orages, à des meutes de gosses chapardeurs et maladroits. Il avait souffert d’hivers polaires, d’étés foudroyants, de pluies sans fin. Il portait en son écorce en ses fibres vieillissement et usure. Il s’était peu à peu déchargé de ses branches. Minées par les insectes xylophages, brisées par des gestes inconscients, arrachées par la violence du vent, elles s’étaient détachées, lentement, comme à regret. Moignon de tronc raviné, il proposait cicatrices et chancres à la caresse de la fillette.

 

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AGNES SCHNELL

 

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POMMIER AGNES2

Phothographie Agnès Schnell

 

IL Y A DES JOURS COMME CA

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...


On attend le frisson
à nos pulsations agrippé
ou terré plus loin
quand la parole
échappe.


On attend le souffle
le balbutiement
la note perdue
la voix vagabondant

Il y a des jours
comme ça
où rien ne vient.


On attend le poème
le chant pur

en équilibre
entre deux mondes.


On attend le silence
l’écriture du silence
ou son illusion.
On aimerait être proche
de l'immense.
La rage au cœur
on attend l’espace étroit.


Un rythme alterne
force à s’immobiliser
à dériver
ancrage raté
entre les racines et la terre
griffures au-dedans
harpon de colère
rouge tapageur envahissant
rouge cris     meurtrissures
rouge naufrage.


Se taire soudain
refuser le poème
et les mots envahisseurs
refuser la fièvre
attendre      genoux fermés
le flux d’une marée froide
attendre pétrifiée
immobile parmi les pierres.


Il y a des nuits comme ça
où rien n’est conçu
mais où l'on continue
quand même vers l’avant…
par désespoir
par dérision
par crainte
peut-être...

 

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AGNES SCHNELL

 

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Brooke Shaden Photography,

Brooke Shaden Photography

 

 

ROSA CEDRON - LUAR NA LUBRE- CHOVE EN SANTIAGO

LE CHANT DES CIGALES...Extrait

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On dit donc que les cigales étaient des hommes avant la naissance des Muses. Quand le chant naquit avec les Muses, plusieurs des hommes de ce temps furent si transportés de plaisir que la passion de chanter leur fit oublier le boire et le manger, et qu'ils moururent sans même s'en apercevoir. C'est d'eux que naquit ensuite la race des cigales, qui a reçu des Muses le privilège de n'avoir aucun besoin de nourriture. Du moment qu'elles viennent au monde, elles chantent sans boire ni manger jusqu'au terme de leur existence, puis elles vont trouver les Muses, et leur font connaître ceux par qui chacune d'elles est honorée ici-bas : à Terpsichore, ceux qui l'honorent dans les chœurs, et ils lui deviennent plus chers sur le rapport de ces fidèles témoins; àÉrato, ceux qui l'honorent par des chants amoureux; et pareillement à toutes les autres, ceux qui leur rendent l'espèce d'hommage qui convient à chacune. A la plus âgée, Calliope, et à la cadette, Uranie, elles font connaître ceux qui, vivant an sein de la philosophie, rendent ainsi hommage aux chants de ces deux déesses, les plus mélodieux de tous; car ce sont elles qui président aux mouvements des corps...

 

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Λέγεται δ᾽ ὥς ποτ᾽ ἦσαν οὗτοι ἄνθρωποι τῶν πρὶν μούσας γεγονέναι, γενομένων δὲ Μουσῶν καὶ φανείσης ᾠδῆς οὕτως ἄρα τινὲς τῶν τότε ἐξεπλάγησαν ὑφ᾽ ἡδονῆς, [259c] ὥστε ᾄδοντες ἠμέλησαν σίτων τε καὶ ποτῶν, καὶ ἔλαθον τελευτήσαντες αὑτούς· ἐξ ὧν τὸ τεττίγων γένος μετ᾽ ἐκεῖνο φύεται, γέρας τοῦτο παρὰ Μουσῶν λαβόν, μηδὲν τροφῆς δεῖσθαι γενόμενον, ἀλλ᾽ ἄσιτόν τε καὶ ἄποτον εὐθὺς ᾄδειν, ἕως ἂν τελευτήσῃ, καὶ μετὰ ταῦτα ἐλθὸν παρὰ μούσας ἀπαγγέλλειν τίς τίνα αὐτῶν τιμᾷ τῶν ἐνθάδε. Τερψιχόρᾳ μὲν οὖν τοὺς ἐν τοῖς χοροῖς τετιμηκότας αὐτὴν ἀπαγγέλλοντες [259d] ποιοῦσι προσφιλεστέρους, τῇ δὲ Ἐρατοῖ τοὺς ἐν τοῖς ἐρωτικοῖς, καὶ ταῖς ἄλλαις οὕτως, κατὰ τὸ εἶδος ἑκάστης τιμῆς· τῇ δὲ πρεσβυτάτῃ Καλλιόπῃ καὶ τῇ μετ᾽ αὐτὴν Οὐρανίᾳ τοὺς ἐν φιλοσοφίᾳ διάγοντάς τε καὶ τιμῶντας τὴν ἐκείνων μουσικὴν ἀγγέλλουσιν

 

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PLATON

Phèdre, 259b à 259d

 

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muses

Cortège de jeunes bacchants et bacchantes célébrant Dionysos.

 

JACQUES ANCET

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La fatigue a des couleurs
Comme les saisons. Elle a
Ses douceurs et ses éclats,
Ses silences. Mais surtout
Ce qu’elle permet de voir :
D’une chose à son image
Imperceptible, une sorte
De distance sans distance.
L’incertitude du monde.
Comme un vacillement bref.

 

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JACQUES ANCET

 

 

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LASSITUDE


ALEXO XENIDIS...Extrait

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Il faudra que je perde le Nord
Pour voir enfin l’Orient où le soleil naît
Entre les cuisses ouvertes de l’horizon
Salies de sang vie lumineuse
Les noires frondaisons s’éclairent
Je regarde
L’enfantement d’une journée
Personne ne compte ses doigts
Ni ne l’enveloppe d’un drap chaud
Ni ne lave sa bouche des péchés de la veille
Comme nous naissons
Chaque matin
Aux vies nouvelles, abandonnés

 

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ALEXO XENIDIS

 

 

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bernard liegeois

Photographie Bernard Liégeois

 

 

 

 

 

LE TEMPS DE...

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Le temps de...
tant de rivières
de rides
de rifts

Le temps de...
tant de brisures
de cicatrices
de cris
étouffés

Le temps de...
tant de battements de coeur
de pas
d'empreintes
d'effacements

Le temps de...
tant de lettres serpentantes
de mots errants
de ratures à relire

Le temps de...
tant de souvenirs
d'oublis en mémoire
de silence sur le bout de la langue

Le temps de...
Tant de ...

manque.

 

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ANNE MARGUERITE MILLELIRI

 

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enfant-introverti-reveur,

RECHERCHE

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N’entre que dans la cathédrale des hommes qui doutent. C’est largement suffisant pour s’y perdre et trouver le sens d’une route. Tu trouveras en eux la flamme des silex, la caresse des corps en larmes, l’édifice indispensable des vieilles villes. Les ports n’existent que parce qu’il y a des océans. Là-haut n’est qu’une catastrophe de mensonges et d’à-peu-près. Préfère-lui la complexité des étoiles, le vertige des trous noirs, l’opiniâtreté des chercheurs de langues et la douceur nommée des longues soirées d’automne. Mais ne crache jamais sur ceux qui rêvent et s’embrouillent, ceux qui se sont perdus un jour de n’avoir jamais trouvé un chemin. Tiens promesse à tes réveils difficiles. Toute la fatigue du monde doit s’enrouler à l’immense vis de la ferveur qui est en toi, celle qui transperce tes jours gris. Et si un jour ce que tu cherchais depuis toujours resplendit en toi, que cela éclabousse les actes de ceux qui restent patiemment à l’étude.

 

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BRUNO RUIZ

https://brunoruiz.wordpress.com/…/…/27/bruno-ruiz-recherche/

 

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BRUNO

OCTOBRE

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Voici l’odeur totale du matin. Le jasmin endormi. La sueur du soleil. J’avale l’écorce du monde. La terrestre présence. Entre mes vertèbres descend le venin de l’hiver. Je touche le temps pour accéder à sa légende. Je suis le chemin d’herbe coupée, les pétales mourants des roses. C’est l’automne dans le tambour des labours. Il y a comme un souffle fatigué dans les branches, une libellule attardée, des coups de hache près d’un lointain bûcher. Là-bas on brûle des feuilles mortes pour l’appétit des chaumes. L’écureuil disparaît dans la folie envolée du vent. Octobre descend dans l’anesthésie de la terre. Je suis le crapaud silencieux qui s’endort près de moi.

 

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Bruno Ruiz

2017

 

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tham3

Photographie Thami Benkirane

https://benkiranet.aminus3.com

LA DEMANDE

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 Il est des heures où je demande :

 

Pourquoi

la fragilité des choses

la frilosité des êtres

 

Pourquoi éclore un corps jusque

au bout d’un baiser

 

 

Pourquoi la transparence

l’obscurité

de certains langages

 

 

 

La demande a besoin de

liberté

Non pas d’oser,

mais d’une liberté

née du profond silence

 

 

Comme au bord d’un lac : un lieu

où dire n’existe plus

que dans le frémissement

d’un reflet sur l’eau de nuit

Seule la demande l’entend

 

 

Le songe s’ébroue

où les heures se posent

sans attendre de réponse.

 

 

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MARTINE CROS

https://bleumouvantdelanuit.com/2017/10/29/la-demande/

 

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thami benkirane3

Photographie Thami Benkirane

https://benkiranet.aminus3.com

 

 

 

COLETTE GIBELIN...

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Quelquefois, le soir,la terre se met à tourner, comme un manège. Alors les jeunes filles s'envolent, avec leurs robes bleues et leurs grands chapeaux roses, leur rage, leur désir de vivre et de conquérir le monde.

Elles étendent leurs ailes et s'envolent, s'envolent, ivres de rires et de fleurs, fleurant la joie et la puissance. L'univers les caresse. Elles sont musique et sortilèges. Elles se balancent, se balancent, se balancent, jusqu'au ciel.

Puis elles tombent, la tête sur le bitume, à six heures du soir, près d'Alès.

...

Tu avais le regard de ceux qui vont mourir. Nous ne le savions pas.

Tu avais l'âpreté des oiseaux de passage, la volupté des herbes. Tu habitais les chemins du soleil, vulnérable et forte, extrême, en chacun de tes rêves.

L'amour t'était venu si tôt, avec ses feux de joie et ses miroirs brisés. Tu avais l'intensité des sources, et, rieuse, l'obscurité des soleils cassés.

Dans les jardins en friche tu courais, lumineuse et sauvage, refusant la poussière, et le tiède, et l'envahissement, les mains ouvertes et le coeur flibustier. A jamais jaillissante.

Comme tu avais raison de ne rien accepter !

 

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COLETTE GIBELIN

 

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JEUNE FILLE

 

 

 

MA VIE GRAPILLE DE CI DE LA

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Au bout de l’heure tragique, j’ai perdu le contrôle de ma vitesse intérieure. Je me suis abandonnéà l’hégémonie du souffle et il m’a percuté de sa lame tranchante. 

La différence n’est pas toujours là où on le croit. Etonnant ce corps qui vieilli et dont on conserve la sensation d’avoir toujours vingt ans.

Sans doute, pour tous ceux qui ont connu l’handicap dès la première heure, la notion de différence n’égale pas celle de la comparaison. Le déchirement de nos pensées et de l’estime que l’on se porte peut nous être fatal. Rien ne demeure sybillin au point du non-retour. L’exposition à la réalité tord allègrement toutes considérations.

Si je n’existe qu’à travers le regard des autres, quelque chose me manque. Je porte en moi le récit du parcours effectué et une part grumelée d’humanité. Déjà, à ma naissance, rien n’indiquait mon identité. Près de treize ans après mon accident, j’ai le sentiment qu’une amélioration de ma mobilité serait à nouveau une épreuve. Je ne veux pas dire que l’on s’habitue à son état physique amoindri, mais que l’effort d’adaptation qu’il a suscité serait anéanti. Il me faudrait encore réamorcer la vie dans les lieux disparus et cette expectative est quelque peu effrayante. 

Dans nos gènes, le lapsus de l’évidence courtise les faux semblant. Il y a un peu plus d’une décennie, j’étais à terre, sur le bord d’un caniveau, le corps allongé dans l’herbe, un bout de tibia de l’autre côté de la chaussée. Tension zéro, immobilisé et intransportable durant plusieurs heures, ma vie d’homme « normal » s’est fracassée sur un panneau -Stop- qui bordait la route. Aujourd’hui, lorsque j’y pense, je suis toujours perturbé de constater combien je suis devenu un autre : l’ex. L’ex corps, l’ex image, l’ex vivant. 

Ma dernière crise de foi remonte à mon baptême. Il est terrible de naître en croyant être arrivé. Nomade de passage, l’attraction est mon chemin. Je vais là où la tempête des éléments me conduit. Tout jeune, on nous apprend à tenir un volant et l’on nous laisse penser que le choix de la route est entre nos mains. Seul, le provisoire nous appartient. Nous sommes guidés par le hasard. Appartenir, c’est faire corps pour un temps avec des conditions d’existence que nous n’avons pas choisi.  

Le renversement n’est pas le résultat de la chute occasionnée par l’accident. Mon esprit se manifeste tel qu’il appréhende son environnement immédiat. Les souvenirs accourent pour soutenir un monde sur deux jambes. La terre se désaxe et ma trajectoire est affectée. Je me dirige droit devant, dans une forme elliptique propre aux percutions hasardeuses. Rien ne demeure aussi stable que la pression de l’air sur mon corps, et cependant, je dévie. Le temps se sépare distinctement en deux fractions bipolaires. Il y a un avant et un après. Je connais les coudées qu’insuffle la densitéà la temporalité. L’éternité reste un champ d’applications aussi vide qu’une bouteille à la mer dont le message a disparu. 

Je n’ai plus aucune sensation de dominance. Assis sur mon fauteuil à deux roues, la hauteur de mon regard est bien plus basse qu’auparavant. Il me faut lever la tête pour croiser le regard des autres. Assis dans une forme de permanence, la durée est équivalente aux suggestions que les situations de vie proposent. Tout se passe comme si je pouvais dire « je » sans en être le véritable propriétaire. Je sens et je choisis mais tout me parait hors de portée. Blessé, j’occupe mes plaies comme un croûte protectrice. Il me semble habiter l’unique résonance de la paille que l’on froisse plutôt que l’air qui la soulève. Je ne suis pourtant pas en état d’apesanteur. Peut-être, existe-t-il différents niveaux d’épaisseurs dans la moelle de l’existence. 

La différence se réfère à elle-même. Elle occulte volontairement les tourbillons de la réalité définissant la mobilité comme l’élément fondateur de l’acte. Ma blessure perche dans le regard des autres comme un rapace plane au bout du ciel. Ma gangrène est le fruit malaxé d’une tentation et du manque. Je bénéficie de la compassion collective que chacun accorde à ses défaillances. Les autres sont, comme toujours, mon sommet et mon abysse. Miroir aux troubles reflets, miroir gorgé de tempête, d’éclipses et de rayons de lumière crissés de reconnaissances subtiles. Tout se ressemble et rien n’est pareil. L’eau qui court dans mon ruisseau est la même qui tombe du ciel. Dans mes cendres, un peu d’amour et beaucoup de déchets cohabitent. Il ne sert à rien de prendre les choses à son compte, il suffit d’accueillir sans rompre, d’héberger sans fuir. La faille n’est pas ici. Tout ce qui s’effondre revendique l’éruption qui a soumis la terre à l’épreuve du gonflement. Les racines boursouflent toujours avant d’éclater pour soulever le sol. Un instant, je suis le feu dissimulé dans mes entrailles et un autre, je suis l’effusion de peaux mortes jaillissantes. La gratitude ne vient qu’après.

Certains événements transfigurent le vol léger des oiseaux. Le vent devient lui-même un projectile. Il saisit au vol la pâte de la matière encore fluide. Ce qui est de prime abord impalpable se transforme en mottes blanches dans la nuit perdue. 

Le corps n’oublie rien du profil de l’heure première. Ce qui se désarticule sur l’horizon percé abonde par les mouvements de la sève ascendante. L’heure est définitivement irréelle. Le temps immatériel sonne les cloches des cathédrales effondrées.

La tourmente et l’apaisement sont deux fruits inséparables. L’instant immédiat n’est que le brouillon d’une haie inachevée de pierre creuses. Je dépends de mes pensées plus qu’elles ne m’appartiennent.  

Je croyais, comme tout le monde, que la force invisible de la vie se résumait par le froissement des préjugés et des peurs incontrôlables. Que nenni ! Trop de lieux insondables survoltent notre nature à concevoir pour que je sois en mesure de la synthétiser ainsi. Ce que je pense me dépasse, m’étourdi parfois et m’inonde de clartés diffuses. Je suis à cheval sur le vent qui décoiffe l’horizon, en équilibre sur le qui-vive de la lumière qui opère des trouées blanches dans le noir mortel de la raison.  

Coupé de moi-même et en moi-même, ma chair revendique ardemment la suture afin de ne pas s’éparpiller hors de sa structure élastique. Si je ne peux montrer mon profil droit, je présenterais l’autre. Je suis partagé entre le silence d’être et le jaillissement du verbe. La rigueur de l’existence doit pouvoir se toucher afin de se concrétiser. Je sais ce que je n’ai plus, et cependant tout ne se voit pas à l’œil nu. De grandes falaises abruptes se dressent contre les parois du jour. Dépossédé de toutes les aubes inconséquentes, je danse au cœur d’une veillée brouillonne. Je m’accommode de l’écart, je glisse, je roule et j’accède. La marge est épaisse, elle déjoue les frontières de l’esprit. L’antidote s’écrit naturellement au fond de chaque être. L’utopie n’est pas le remède miracle, mais elle atténue le choc frontalier avec la réalité. Le présent se diffuse dans l’heure qui cercle la mort présente de toute chose. Je n’échappe pas à la relativité. 

J’accoste à l’énergie désaffectée, au naufrage des âmes remodelées par l’étreinte des ondes qui tissent les rêves en émulation dans le sang de l’existence.

Dans mon cœur, une poupée morte gesticule quelques ronds de pied. Un théâtre à cordes colonise les voix qui prennent appui sur le sensible découpage des pages qui se tournent. Par moment je rêve seulement pour rêver. La lune n’a qu’à bien se tenir ! La réalité déjante tous les espoirs et les heures sont surréalistes. Une liberté frondeuse caresse les songes que me dicte la matière palpable. Ma peau récite les doubles voyelles d’une orthographe enfouie aux veines des émotions en souffrance. Aux gorges des flammes, des cerceaux de syllabes s’étouffent dans la fumée. Je suis infiltré par la rumeur poursuivant mon corps idéal. L’instant, dans son excès de turbulences, prône la défectuosité du temps. Insalubre, l’heure monotone explose comme une grenade trop mûre.   

On ne redevient pas celui qu’on est, on continue à se déployer parmi les buissons du soupir. On ne recommence rien, on poursuit la course jusqu’à son effacement. Ce qu’on nous vole n’est rien d’autre que ce que l’on aurait offert si les conditions avaient été favorables. On ne peut se renier au travers des autres. Quels qu’ils soient. Que l’on soit né ici où ailleurs, que l’on tisse des ficelles ou des bouts de soie, l’essentiel demeure ce feu bref qui gicle dans le brouillard. Une vie nouvelle, toujours recommencée, reprise le présent qui s’enfuit. Au monde vivant, la vie m’a donné ses yeux pour que je trouve ma place. Entier ou découpé, c’est du pareil au même, j’accomplis des boucles buissonnières où s’accrochent des silences liant les berges et les orages dévastateurs. Toi, tu marches, debout. Moi, je te suis avec le corps que je n’ai plus. 

Mon corps sait-il combien il m’échappe ? Meurt-il à chaque instant de ses pantomimes et de ses désirs ? J’ai des spasmes profonds dans le ventre, mon visage est imprégné de l’ombre rédhibitoire de l’épaisseur imprécise entourant le noir. Je demeure inaccompli sans la clarté du monde qui me précise.  

Des odeurs de peau aux mille parfums me rappellent le nécessaire accord qui associe l’ordre volontaire parcourant la distance entre mon cerveau et mes gestes. « Ce n’est pas moi qui pleure, c’est mes yeux », disait Ugolin au papé dans Manon des Sources. Trop souvent, ce que mon corps revendique, mon esprit le répugne. Lorsqu’il manque un membre ou une faculté naturelle, la dimension que l’on éprouve de soi devient tout à la fois sclérosante et déjection de frontière. Tout ce qui ne peut être accompli de façon autonome devient vite un désert infranchissable. C’est un espace vidé de son jus et envahi de multiples oasis qui embrouillent l’esprit. Mon corps demeure un grand mystère. Parfois, il décante à distance comme un souvenir sans cesse brassé par le tohu-bohu de la révolte. Il crie et se désarticule pour témoigner de la violence qui le heurte.

Toute la panoplie des sens est un tumulte permanent. Sentir et ressentir, c’est tout simplement vivre. Lorsque je me régale en mangeant une pêche bien mûre, il m’importe peu de connaître les mécanismes digestifs qui officient. Par contre, lorsqu’il ne m’est plus possible de vivre ce plaisir, je suis privé de tout l’alphabet de l’univers.   

Le passé dévore-t-il jusqu’aux rayons de soleil qui m’éclairent ? Être ce que l’on est ne suffit pas à l’étau de ma raison. Mes rêves pourfendent la réalité et mes espérances convoitent les chemins parfaits de l’équilibre du corps et de l’esprit. J’appartiens, tout entier, à mes sens. Mon cœur est plus vaste que l’oralité nichée dans les vagues fracassantes d’un océan de copeaux de verre.

L’incompétence à exécuter aisément les actes de la vie ordinaire est souvent vécue comme une défaite. Prisonnier de nos incapacités, chaque geste, chaque mouvement, en appelle à une grande aptitude de mise en œuvre. Et, le fait de mesurer à l’avance bon nombre de déplacements occulte largement la spontanéité. Le précepte indiquant qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de dire quelque chose n’est pas toujours la meilleure leçon pour appréhender l’indéfinissable goût de liberté. Ma vie grappille de ci de là avant de trouver d’autres chemins pour se rendre aux vergers. Il suffit d’être priver de ce que l’on considère comme indispensable pour découvrir une multitude d’autres possibles.

 

 

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BRUNO ODILE

Tous droits réservés ©

http://lacollineauxciga.canalblog.com/…/2013/10/30/28322801…

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bruno

Oeuvre Ewa Hauton


ANNE MARGUERITE MILLELIRI...Extrait

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Écrire contre.
La mort. L'oubli. Le silence. L'incendie.
La couleur noire des souvenirs noirs.
La pluie qui gifle. Le mot qui tue. La dérive du corps qui n'a plus faim ni soif ni sommeil. Les étoiles effacées dans ce ciel à la mine de plomb. La colère réprimée. Le verre tombé des mains, brisé au sol comme un arrêt du coeur.
Écrire contre. Tout contre. Le jour qui meurt, dont tu refuses la mort, et que tu regardes mourir avec toujours cette même colère contre. Et où va - t-il ce train ? Où est-ce, loin de toi ? et pourquoi loin de toi ? Et quelle est cette histoire qui continue de s'écrire sans nous ? Elle ne veut rien savoir de nous deux. Vieille flèche, et sa cible perdue dans le brouillard. Rien de nous deux dans cette histoire. Il fait froid, tu sais. Il fait froid et tu sais. Quelqu'un a peur. Il fait froid sans toi.
Écrire tout contre.

 

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ANNE MARGUERITE MILLELIRI

 

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ananda

EN SONGEANT A UN ART POÉTIQUE

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    Merci à Marie-Paule et Raymond Farina

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La poésie vient chez moi d’un rêve toujours latent. Ce rêve j’aime à le diriger, sauf les jours d’inspiration où j’ai l’impression qu’il se dirige tout seul.

Je n’aime pas le rêve qui s’en va à la dérive (j’allais dire à la dérêve). Je cherche à en faire un rêve consistant, une sorte de figure de proue qui après avoir traversé les espaces et les temps intérieurs affronte les espaces et les temps du dehors – et pour lui le dehors, c’est la page blanche.

Rêver, c’est oublier la matérialité de son corps, confondre en quelque sorte le monde extérieur et l’intérieur. L’omniprésence du poète cosmique n’a peut-être pas d’autre origine. Je rêve toujours un peu ce que je vois, et ce que j’éprouvais dans « Boire à la Source » est toujours vrai : quand je vais dans la campagne le paysage me devient presque tout de suite intérieur par je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, j’avance comme dans mon propre monde mental.

On s’est parfois étonné de mon émerveillement devant le monde, il me vient autant de la permanence du rêve que de ma mauvaise mémoire. Tous deux me font aller de surprise en surprise et me forcent encore à m’étonner de tout. « Tiens, il y a des arbres, il y a la mer. Il y a des femmes. Il en est même de fort belles… »

Mais si je rêve je n’en suis pas moins attiré en poésie par une grande précision, par une sorte d’exactitude hallucinée…

J’ai été long à venir à la poésie moderne, àêtre attiré par Rimbaud et Apollinaire. Je ne parvenais pas à franchir les murs de flamme et de fumée qui séparent ces poètes des classiques, des romantiques. Et s’il m’est permis de faire un aveu, lequel n’est peut-être qu’un souhait, j’ai tenté par la suite d’être un de ceux qui dissipèrent cette fumée en tâchant de ne pas éteindre la flamme, un conciliateur, un réconciliateur des poésies ancienne et moderne…

On a fait de notre temps une telle consommation de folie en vers et en prose que cette folie n’a plus pour moi de vertu apéritive et je trouve bien plus de piment et même de moutarde dans une certaine sagesse gouvernant cette folie et lui donnant l’apparence de la raison que dans le délire livréà lui-même. Il y a certes une part de délire dans toute création poétique mais ce délire doit être décanté, séparé des résidus inopérants ou nuisibles, avec toutes les précautions que comporte cette opération délicate. Pour moi, ce n’est qu’à force de simplicité et de transparence que je parviens à aborder mes secrets essentiels et à décanter ma poésie profonde. Tendre à ce que le surnaturel devienne naturel et coule de source (ou en ait l’air). Faire en sorte que l’ineffable nous devienne familier tout en gardant ses racines fabuleuses.(…)

Je n’ai guère connu la peur de la banalité qui hante la plupart des écrivains mais bien plutôt celle de l’incompréhension et de la singularité. N’écrivant pas pour les spécialistes du mystère j’ai toujours souffert quand une personne sensible ne comprenait pas un de mes poèmes.

 

 

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JULES SUPERVIELLE

 

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tham 1,

Photographie Thami Benkirane

https://benkiranet.aminus3.com

 

 

LE GRAIN MAGIQUE...Extrait

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"Étoile du matin je t’en prie,
Parcours le ciel à la recherche de mon enfant
Et rejoins-le où il repose
Tu le trouveras encore dans le sommeil
Redresse-lui doucement l’oreiller
Et vois s’il ne manque de rien
Sa beauté se rit des parures
Elle illumine les chemins."

 

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TAOS AMROUCHE 

 

 

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etoile

 

 

AUTUMN LEAVES - EVA CASSIDY

BRUNO RUIZ...Extrait

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 Ce peu de temps qui reste
A ce corps qui s’enlise
Je le veux souverain
Sous la lune complice
Je le veux dans ta main
Plus léger qu’une abeille
Comme un coussin d’été
La flèche d’un hiver
Je le veux sans compter
Les ruines de nos routes
Et savourer à deux
L’instant qui s’éternise.

...

 

 Voici le temps des bilans de l’usure
Aux feux croisés de nos forges intimes
Je veux l’amour absolu jusqu’au bout
Face à la verte et dernière beauté
Maintenant



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BRUNO RUIZ

 

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bernard liegeois,

Photographie Bernard Liegeois

 

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