ANGELIQUE IONATOS CANTA FRIDA KAHLO - Si tan solo
LETTRE DU COEUR ET AUTRES PAYSAGES...Extrait
Tu es la fête rebelle du désir
source du chant jailli d’instinct
riposte vive du feu
et forme inavouée de ses codes
Un besoin d’aimer fait violence
à tout ce qui simple écho des censures
ne peut se dresser en une suite
de petits désordres déterminés
capables de tracer
ta ligne de vie
au milieu de mon poème
Sans ta voix pour la porter
mon écriture ne serait plus jamais la même
DOMINIQUE LAUZON
Oeuvre Michael Gorban
POEMES EPARS...Extrait
Voici l’été de ton nom murmuré
le grand été vert tout autour de ta maison
et si doux quand glisse dessus ton regard
voici les miels de somnolence
à ton cou d’herbes folles
l’oubli collier de mésanges
je soufflais sur toi un vent de puits
alors tes yeux avouaient
leur beauté d’années-lumière
et sous ma main de parfaite innocence
naissait ton corps le parfait pays
voici l’été profond dans ton oreille
mais pour moi l’été cratère où tu n’es pas
le grand châle bleu de l’espace où mourir
GASTON MIRON
Oeuvre Michael Gorban
CARCO
Dis qu'as-tu fait des jours enfuis
De ta jeunesse et de toi-même
De tes mains pleines de poèmes
Qui tremblaient au bout de ta nuit
Il avait toujours dans la tête
Le manège d'anciens tourments
De la fenêtre par moment
Parvenaient des bouffées de fête
Où sont les lumières lointaines
Voici fermés les yeux éteints
Ce chant des lilas au matin
De Montmartre à Mortefontaine
Tu meurs sans avoir vu le drame
Carco qui ne sus que chanter
Te souviens-tu de cet été
De Nice où nous nous rencontrâmes
On faisait semblant d'être heureux
Le ciel ressemblait à la mer
Même l'aurore était amère
C'était en l'an quarante-deux
Excuse-moi que je le dise
Dans ce Paris où tu n'es plus
Comme Guillaume l'a voulu
Qu'un nom qui se mélancolise
Que l'avenir du moins n'oublie
Ce qui fut le charme de l'air
Le bonheur d'être et le vin clair
La Seine douce dans son lit
LOUIS ARAGON
SOIE
Toi que j’appelais parfois Soie
pour ne pas te nommer en chair,
je te regarde brasiller,
montrant ce que chacun peut voir
mais que moi j’aimerais voiler
quand mes yeux cherchent à tâtons
par les échancrures des soies
la piste qui me conduira
dans l’ombre sainte de tes seins.
J’y resterais toute la nuit,
dans le silence des caresses
et le soupçon des frôlements,
pour qu’à l’aube je puisse enfin
voir se dorer dans la lumière
ces coupoles du sanctuaire
ô Soie, de l’ultime désir.
HUBERT NYSSEN
Oeuvre Téodor Axentowicz
ZIAD ABOU EIN
En mémoire de Ziad Abou Ein
L’armée de l’occupation israélienne a tué ce mercredi 10 décembre 2014, le ministre palestinien en charge du dossier des colonies et du mur d’annexion, ancien ministre des prisonniers Ziad Abou Ein lors d’une manifestation populaire non-violente contre la Colonisation près de Ramallah en Cisjordanie occupée.
Il manifestait pacifiquement contre la confiscation des terres palestiniennes au profit d’une colonie israélienne illégale, et devait planter un olivier de paix sur cette terre.
L'olivier ! Naturellement ce n'est pas original, mais on a les arbres que l'on peut et celui-là a toutes les vertus. D'autres essences ont plus de prestige. La littérature les a chantées sur tous les tons. Elle a dit la beauté rectiligne des cèdres, ceux du Liban, dont elle a même entendu les choeurs, mais les nôtres ne sont pas moins altiers ni moins harmonieux ; je les trouve même plus humains...
...
L'olivier, comme nous, aime les joies profondes, celles qui vont par delà la surface des faux-semblants et des bonheurs d'apparat. Comme nous, il répugne à la facilité. Contre toute logique, c'est en hiver qu'il porte ses fruits, quand la froidure condamne à mort tous les autres arbres. C'est alors que les hommes s'arment et les femmes se parent pour aller célébrer avec lui les rudes noces de la cueillette. Il pleut, souvent il neige, quelquefois il gèle. Pour aller jusqu'à lui, il faut traverser la rivière et la rivière en hiver se gonfle. Elle emporte les pierres, les arbres et quelque fois les traverseurs. Mais qu'importe ! Cela ne nous a jamais arrêtés ; c'est le prix qu'il faut payer pour être de la fête. Le souvenir émerveillé que je garde de ces noces avec les oliviers de l'autre côté de la rivière ne s'effacera de ma mémoire qu'avec les jours de ma vie.
....
L'arbre de mon climat à moi, c'est l'olivier ; il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas d'un élan vers le ciel comme vos arbres gavés d'eau. Il est noueux, rugueux, il est rude, il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices d'un ciel qui passe en quelques jours des gelées d'un hiver furieux aux canicules sans tendresses. A ce prix, il a traversé les siècles. Certains vieux troncs, comme les pierres du chemin, comme les galets de la rivière dont ils ont la dureté, sont aussi immémoriaux et impavides aux épisodes de l'histoire ; ils ont vu naître, vivre, et mourir nos pères et les pères de nos pères. A certains on donne des noms comme à des amis familiers ou à la femme aimée (tous les arbres chez nous sont au féminin) parce qu'ils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme à la trame des burnous qui couvrent nos corps...
MOULOUD MAMMERI
Ziad Abou Ein
THE GAZA BOX...Extrait
J’ai lu ton livre sur les mythes -
et toi ?
J’ai testé le miroir pour ton visage -
et toi ?
J’ai passé les ruines en revue et celles, plus vastes, dans ton coeur -
et toi ?
j’ai gardé en mémoire la forme des fumées noires et le ciel orange dans les plus infimes cadavres –
et toi ?
j’ai vérifié si la solitude était ce que devient le corps quand la mort est son seul bien –
et toi ?
As-tu songéà ta femme le soir où tu tuas la mienne ?
Et de manière inopinée,
l’image de ton fils traversera
ton esprit,
tu te demanderas pourquoi
tu es venu en fin de compte,
tu respireras autrement,
les mots ne seront plus capables
de dresser la carte de tes crimes.
J’ai fait le compte des dégâts dans ma chair
- et toi ?
J’ai retrouvé la scène où
dans le livre
tu effaces mon nom
qui s’obstine à réapparaître,
sais-tu que ces lettres sont de celles qui retrouvent toujours leur forme originelle
alors regarde-moi dans les yeux
avant de périr l’un et l’autre.
NATHALIE HANDAL
CHANSONS, POEMES DU CANTE JONDO...Extrait
Tu voulais que je te dise
le secret du renouveau.
Mais je garde le secret
tout autant que le sapin.
Arbre dont les mille doigts
indiquent mille chemins.
Je ne te dirai jamais, mon amour,
pourquoi si lentement le fleuve coule.
Mais je mettrai en ma voix d'eau dormante
le ciel cendré de tes regards.
Tourne autour de moi, ma brune,
et prends bien garde à mes feuilles.
Tourne encore, tourne toujours
jouant à la noria de l'amour.
Quand je le voudrais, je ne puis te dire,
hélas, le secret du renouveau.
FEDERICO GARCIA LORCA
POEMES D'AMOUR...Extrait
Les crépuscules et les générations.
Les jours dont aucun ne fut le premier.
La fraîcheur de l'eau dans la gorge
D'Adam. L'ordre du Paradis.
L'œil déchiffrant les ténèbres.
L'amour des loups à l'aube.
La parole. L'hexamètre. Le miroir.
La tour de Babel et l'arrogance.
La lune que regardaient les Chaldéens.
Les sables innumérables du Gange.
Tchouang-tseu et le papillon qui le rêve.
Les pommes d'or des îles.
Les pas du labyrinthe vagabond.
La toile infinie de Pénélope.
Le temps circulaire des stoïques.
La monnaie dans la bouche du mort.
Le poids de l'épée sur la balance.
Chaque goutte d'eau dans la clepsydre.
Les aigles, les fastes, les légions.
César le matin de Pharsale.
L'ombre des croix sur la terre.
Les échecs et l'algèbre du Persan.
Les traces des longues migrations.
La conquête des royaumes avec l'épée.
La boussole incessante. la mer ouverte.
L'écho de la pendule dans la mémoire.
Le roi exécutéà la hache.
La poussière incalculable des armées.
La voix du rossignol au Danemark.
La ligne scrupuleuse du calligraphe.
Le visage du suicidaire dans la glace.
La carte du joueur. L'or vorace.
Les formes du nuage dans le désert.
Chaque arabesque du kaléidoscope.
Chaque remords et chaque larme;
Il a fallu toutes ces choses
Pour que nos mains se rencontrent.
JORGE LUIS BORGES
Oeuvre Boleslaw Szankowski
HELENE CADOU
Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.
HELENE CADOU
Oeuvre Carl Wilhelm Holsoe
UNE PLAGE INTEMPORELLE...Extrait
LA MAISON, LE CHEMIN...Extrait
Aller aujourd’hui plus à toi
Qu’être simplement vivant,
Aller aujourd’hui à toi
Avec la pensée tout à fait libre
De mon chemin,
Aller aujourd’hui à toi
Àégale distance d’un sifflement à l’être
Et au néant,
Aller aujourd’hui à toi
Avec sur ma poitrine un talisman contre les assauts tangentiels
De la mort,
Aller aujourd’hui à toi
Plus qu’à la nudité de ton corps,
Plus qu’à la pluie convexe de l’amour,
Aller aujourd’hui à toi
Sans paroles ni de moi ni de toi
Au milieu;
Et maudit soit alors un poème
Aller à toi
Dépourvu maintenant même
De dieu,
De pain,
D’eau,
De rien,
De cette rose aussi
Cachée un jour en secret par nous deux
Dans un lieu bien plus sûr
Hors de la vie.
FERNANDO EDUARDO CARITA
POUR FAIRE NEDJMA
Il faut une palme
un peu d'eau
il faut du sable fin
très doux
il faut du soleil
des dattes
du thé il faut un port de reine un rire clair
il faut aussi une petite larme
de temps en temps seulement
bien sûr
il faut surtout ses mains
ses doigts agiles
et frêles
il faut une petite pointe
d'humour
beaucoup de tendresse
ne pas oublier quelques fleurs
les plus petites
mais les plus belles
GERALD BLONCOURT
Oeuvre Boleslaw Szankowski
LA RUMEUR DES CORTEGES...Extrait
Par un sentier grimpant sous les cytises
j’ai débouché sur un pré de scabieuses
et aperçu sur la rosée qu’irise
le jour naissant, prête à l’essor, la buse.
Je me suis allongé pour ne plus voir
des arbres que leur cime et ne savoir
des vivants que leur cœur quand le langage
en confie la rumeur au vent sauvage.
JEAN GROSJEAN
Photographie Dominique Dubois
FEMMES JE VOUS AIME
Quelquefois
Si douces
Quand la vie me touche
Comme nous tous
Alors si douces...
Quelquefois
Si dures
Que chaque blessure
Longtemps me dure
Longtemps me dure...
Femmes... Je vous aime
Femmes... Je vous aime
Je n'en connais pas de faciles
Je n'en connais que de fragiles
Et difficiles
Oui... difficiles
Quelquefois
Si drôles
Sur un coin d'épaule
Oh oui... Si drôles
Regard qui frôle...
Quelquefois
Si seules
Parfois elles le veulent
Oui mais... Si seules
Oui mais si seules...
Femmes... Je vous aime
Femmes... Je vous aime
Vous êtes ma mère, je vous ressemble
Et tout ensemble mon enfant
Mon impatience
Et ma souffrance...
Femmes... Je vous aime
Femmes... Je vous aime
Si parfois ces mots se déchirent
C'est que je n'ose pas vous dire
Je vous désire
Ou même pire
O... Femmes...
JEAN-LOUP DABADIE
PEINDRE DECEMBRE
En pensant aujourd'hui à ma puce dont c'est l'anniversaire....
Je mets dujaune-de l'orange
du rouge-des fleurs de papier
des étoiles d'argent
des bougies-des bougies-des bougies
Décembre en noir et gris
ouvre chaque matin une fenêtre
grignote un peu plus de jour-crache
les pépins de givre sur les toits
Aux lointaines incantations des ancêtres
se mêle une petite musique
distraitement je demande
tu as mis un disque ?
mais il n'y a qu'une pie bavarde
au balcon et des brumes de souvenirs
qui se mêlent à l'hiver
LUCIE PETIT
LA PLUS QUE VIVE...Extrait
On peut donner bien des choses à ceux que l'on aime. Des paroles, un repos, du plaisir. Tu m'as donné le plus précieux de tout: le manque. Il m'était impossible de me passer de toi, même quand je te voyais tu me manquais encore. Ma maison mentale, ma maison de coeur était fermée à double tour. Tu as cassé les vitres et depuis l'air s'y engouffre, le glacé, le brûlant, et toutes sortes de clartés.
CHRISTIAN BOBIN
VERDICT
Merci à Agnès
On est comptable et de tout et de rien
on est comptable irréversiblement
irrévocablement
de tous les mouvements divers de sa conscience
Tout nous assaille
tout nous meurtrit
nous circonscrit
tout nous concerne
nous cerne
nous emprisonne
nous désavoue
nous loue enfin pour mieux nous accuser
nous particularise
tout se nourrit de notre défaillance
En apparence à notre insu
un oiseau médite sur son aile brisée
et sur sa toile une araignée est triste
et sur le banc des accusés
un innocent s'efforce en vain de réfuter
l'interminable acte d'accusation
Demain tantôt qu'allons-nous faire
de cet instant précis qui déjà nous observe ?
ACHILE CHAVEE
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Oeuvre Madalina Lordache Levay
FLEURS ET FRUITS....
Fleurs et fruits, bouches et baisers.
Solitaire, à la recherche de la liberté et de la folie.
Sarcophages et asiles sont des murs
où l’âme se surprend
et surprend objets et animaux.
En chacun de nous, l’art est feu.
Des fantaisies, des alchimies, des géométries
renaissent par milliers
dans la solitude.
La lumière explose dans l’exactitude du mot
qui se libère, qui fuit. Voluptueux, il se replie,
fasciné par l’avidité de celui qui lit.
VIRGILIO DE LEMOS
Oeuvre Jean Vadal Smith
L'ARBRE ABATTU
Un léger relief arrête la main. A peine sensible, un sillon, puis d'autres proches creusent la surface. La main effleure. Elle tâtonne comme à la recherche de détails estompés. L'arbre a souffert des derniers orages. Il était vieux. Il s'est rendu. Abattu dans l'herbe, il exhibe l'indécence de ses racines lourdes encore de terre. La main qui le frôle est ravinée, parcourue de nervures, de ramures, elle aussi.
Esther touche chaque faille, chaque meurtrissure végétale. Elle en touche l'intimité des plis, là où se divisent les branches.
Le rythme lent de la caresse dénoue la mémoire. La femme retrouve des gestes de tendresse qu'elle avait un peu oubliés. Elle accompagne l'arbre dans son agonie, comme elle le ferait pour un parent, un ami.
La main de la femme retrouve ses émotions en parcourant la surface de l'écorce rude. Une scène lui met un sourire sur les lèvres. Le premier baiser. Lorsqu'elle avait tendu ses lèvres, elle avait joint les mains derrière le dos. Ses mains trop larges. Presque des mains d'homme, lui reprochait sa mère. Ses mains l'avaient toujours gênée. Elle n'avait jamais su où les placer ailleurs qu'au fond de ses poches. Elle adoptait alors un air godiche qui l'amusait quand elle regardait ses photographies. Ses mains aux poings noués, serrés sur ses silences, sur sa difficultéà dire.
Elle se souvient du sourire narquois de son partenaire, à peine plus âgé qu'elle, mais déjà expert dans l'art du baiser.
Esther à connu d'autres douceurs. Elle a toujours aimé toucher les tissus, les matières, les peaux surtout. Elle s'étonnait du bleu fragile qui court en veinures entrelacées, elle s'étonnait de l'intime battement que l'on pouvait percevoir à la surface. Elle retenait la vie du bout des doigts, elle touchait l'essentiel sans réticence, sans honte. Ses tendresses de mère, de femme, c'est à son arbre qu'elle les doit. Elle a aimé des corps flétris marqués par le temps, alourdis par la vie. Elle a aimé ce défi, cette lutte désespérée des corps contre la mort trop puissante.
Les branches fortes, la ramure généreuse de l'arbre avait permis à Esther d'avoir un lieu où elle se sentait en sécurité. Sa trop grande solitude lui avait appris, très tôt, que l'imaginaire était une nourriture vitale. Dès lors, elle navigua entre la réalité et le rêve.
Elle avait grandi sans boussole, sans balises, si ce n'est la volonté de ne pas devenir comme eux. Des adultes laids, grognons, violents qui étaient "ses proches".
"Ses proches", eux ?… Si éloignés d'elle !
Certains jours, la tête brûlante, le cœur rempli de leurs mots aigres, le corps meurtri, elle courait au fond du jardin. Son arbre lui cédait sa tiédeur et son ombre. Peu à peu, elle s'apaisait.
Elle bâtissait alors son lieu imaginaire. A l'abri des bruits, des discordances, des cris. Elle dialoguait avec elle-même, multipliait les personnages. Elle parlait à voix haute, sûre que personne ne l'entendait. Esther était tout à la fois, oiseau, insecte rampant, eau vive, brin d'herbe. Elle était danseuse, musicienne ou acrobate. Savante aussi, polyglotte…
Esther était. Elle existait.
La main caresse la peau de l'arbre. Une peau aimée dont elle connaît le relief et la rudesse. Bien sûr, elle a grandi. Seule. Elle dû se frayer un chemin, se construire un nid. Sans balancier ni filin, elle est parfois tombée en vertige. Elle ne regrette rien. Elle a dû, seule, séparer le juste du déviant, du dangereux.
La route que l'on trace en solitaire n'est jamais droite, mais hésitante. Elle est progression brusque puis remords et virages. Elle s'efface parfois. On entend le vide s'effondrer sous soi. On entend l'ombre courir. Lorsqu'on a vécu trop longtemps dans le songe, le quotidien est étrange, cotonneux. On ne voit pas le réel, on ne distingue ni le proche ni l'inaccessible. On se laisse emporter, traîner, laminer par les jours.
On marche dans l'instable, dans une précarité telle qu'on s'effraie de son image, qu'on retient sa voix. Longtemps, Esther s'est tenue à l'écart des miroirs.
L'arbre paraît plus grand maintenant qu'il est tombé. Son feuillage meurtri se fane déjà. Esther a fermé les yeux depuis un long moment. Elle a fermé ses yeux sur une pensée heureuse. Elle ne ressent plus la nécessité de vivre dans le virtuel. Elle se sent arbre. Elle se sait arbre. Elle aussi a des branches, quatre branches fortes issues de son corps, des branches auxquelles elle a offert sa sève. Elle a même une promesse de rameau, pour le prochain printemps.
Elle le dit ce matin à son arbre. Pour le remercier de l'avoir retenue autrefois.
AGNES SCHNELL
28 06 06
Oeuvre Jean-Basile Perrault