Il est des terres de brume, de pierre et de monts chauves,
où la voix de l’homme s’élève sur la montagne.
Des terres noires de silence, où le sang a coulé,
des terres rougies, où la poussière vole au soleil
sa part de nuit,— ses litanies d’amour enfoui.
Des terres d’accueil, de rires et de loyaux partages
où des filles volcaniques tournoient dans la lumière.
Elles vous offrent le pain, le vin, leur vrai visage.
Des terres où, — gouffre étoilé, la nuit s’effondre
à l’angle d’une rue, en une longue pluie d’automne,
où le vent vous parle, — tel le dragon de l’hiver.
Des terres où l’on marche en soi, dedans comme dehors,
une flûte d’abricotier berce votre âme songeuse.
Entre tes mains se déchire une grenade qui explose
dans ta bouche avide, avec ses diamants rouge sang.
Des terres où l’aurore arrive — avec ses bras nus,
des terres, où la louve aux côtes déchiquetées erre
parmi les rochers, croise ton regard sans rien dire,
et passe son long chemin, — de toute éternité.
Sur cette terre lointaine, lentes sont les métamorphoses,
les gens vivent sans cadran, — à l’heure du soleil.
Les farandoles dansent, s’ouvrent et se referment,
les pieds frappent le sol, les bras sur les épaules.
Des verres sont levés, s’entrechoquent, sonnent et se vident,
— les bouteilles vidées s’alignent sur la table.
Il est des terres comme des parfums,
on se souvient d’elles comme de la terre, — du monde, un premier matin.
Elles vous envoûtent tels les arômes d’un vin ancien,
elles sont capables de vous faire perdre l’esprit
et vous enivrent l’âme d’une immense nostalgie.
Elles vous murmurent à l’oreille des choses dans le vent,
que votre visage pâlit — à les entendre.
Des choses secrètes entendues en un monastère,
d’un rayon de clarté venue d’outre-siècles,
près d’une fine chandelle jaune, — hurlant Narekatsi.
Il est des terres qui gémissent de lamentations
perdues dans la nuit des temps, des corps sont restés
quelque part sans sépulture, — il y a cent ans.
Cent ans déjà que d’autres ont commis des crimes.
Or, ils ne reconnaissent pas — l’irréparable.
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SERGE VENTURINI
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Photographie Cok Friess