Femmes jamais lasses
mais éméchées
de tant de mèches tressées
de destins croisés
de pailles mâchées et remâchées
de lin roui et reroui dans les fouilles de vos mémoires
dépositaires des fuseaux
de navettes pour passer entre les trames
ou naves à rames ou à voiles
pour passer de vie à trépas
rames et ramettes de papier
oublies des oiseleurs
ouï-dires des jardins publics
où errent des fantômes de dames pipi
de vieilles chaisières
de reines de France
de marchands de ballons au bout des fils de coton
et fils sublimes de soies chinoises pour de jeunes gangsters masqués de bleu
ou fils d’industrieuses araignées pendues aux branches d’un cerisier japonais
capteur de perles
à Central Park,
tissez la patience aux branches nues du marronnier
tissez le retour des hirondelles
sur les fils conducteurs des secrets
et de l’électricité
tissez la joie pure de solitude
avec les herbes givrées des tapisseries argentées
tissez la dentelle avec les doigts
sur un coussin, sur vos genoux
ou tissez les arabesques du plaisir
à la chandelle
au bout d’un sein
entre les cuisses de l’aimé
tissez sans jamais renoncer à l’ouvrage
dans l’alcôve, de nuit,
au petit jour
à la table d’écriture
l’alène fichée dans le chignon
le peigne précieux en écaille sous la mantille
le regard cerné de khôl à l’abri d’un éventail
au seuil de la ville derrière le moucharabieh
ou devant le rideau de perles de bois
sur le trottoir
tissez sans perdre haleine
et sans trous trous
filez, filez toujours
et filez doux
par amour.
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CECILE ODARTCHENKO
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Oeuvre William Russell Flint