Aux paroles qui reviennent de l’herbe
Avec des globes de rosée scintillants
D’herbe fraîche à la veine pâture
Comme l’odeur du foin au petit jour
Toute la verdure passée en paroles
Fanés à coups de fourche qui l’égaillent
Sur le revers où la sauge raidit
Dans la sécheresse aux faces d’épreuve
Je demande aujourd’hui de m’accueillir
Aux paroles qui vont sur le feu
Bouillir parmi les viandes à sauce
Dans la marmite aux sorcières fétides
Par la riche confusion des langues
Sous le feu des mots partis en fumée
Avec les bas morceaux de la tripaille
A tous sarments, fagots, rondins et bûches
Pour le fumet des pièces savoureuses
Je demande uniquement de flamber
Aux paroles qui font de l’ombre
Dans le plein du jour qu’elles tamisent
Pour la fièvre accordée aux amants
Lourdes paroles foncées des adieux
Belles d’un secret qu’elles enrobent
Dans le moite et féroce affrontement
De la lumière douce en sa crudité
Pae les deux mains que l’ombre a câliné
Je demande mes raisons d’exister
Aux paroles que me souffle le vent
Par le panache fleuri des roseaux
Qui frémissent comme au temps de Midas
Ou les entends-tu trembler de Pascal
Car le vent aura toujours des oracles
Pour ceux-là qui viendront interroger
L’ample cœur d’une nature étrangère
Aux destins des paroles qui se perdent
Je demande l’asile d’une mémoire
Aux paroles qui prennent le soleil
De très haute figure qui les cuit
Avec toutes les herbes souhaitées
Rissolante image d’une tornade
Qui plonge au bain de l’effusion sacrée
Avec le fracas des soies arrachées
Les paroles jaunes comme des cailles
Abattues au vol suprême d’Icare
Je demande la grâce d’ensoleiller
Aux paroles que je reçois de l’eau
La douceur exige qu’elles trempent
Dans les grandes fontaines murmurantes
Ou bien qu’elles se coulent sur mon bras
Comme le fleuve d’une terre aimée
Dans l’esprit des paroles divisées
D’avec le monde désert des passions
Que soulève l’irruption de la grâce
Je demande l’appui d’être soluble
Aux paroles tombées en poussière
Avec la ruine des siècles mangés
Par l’histoire à décliner les empires
Et rendre une justice ironique
Aux amours des bergères et des preux
Pour que leur chanson nous vienne en sabots
Secouant les paroles de poussière
Pour éclater de rire aux dialectiques
Je demande seulement qu’elles crèvent
Aux paroles qui coulent des nuages
En promenade aux baraques du ciel
Qu’on visite à la faveur des élans
Maniés par de grands diables d’archanges
Forains établis dessus la planète
Qui gravite en sa course leurs manèges
Ces paroles sont farine du cirque
Monté par hautes juments vaporeuses
Je demande d’ébranler le système
Aux paroles qui montent de la terre
Assoiffées par la récrimination
Tout aussi juste que prunes cueillies
Les paroles à goût de terre éteinte
Prennent aussi vite le frais du soir
Sur les pas des portes où sont assis
Les donneurs de conseils aux voyageurs
Qui s’en retirent comme d’Emmaüs
Je demande le respect de la terre
Aux paroles écoutées dans les arbres
Si c’est un figuier on peut les secouer
Un chêne il n’y faut point y porter la main
Des frênes tant que vous voudrez les voir
Attention si c’est un mûrier qui parle
Mais des sapins ou de gros églantiers
Peuvent vous donner des visions fondées
Comme tant d’arbres que nous estimons
Je demande à faire parler les arbres
Aux paroles qui sautent sur les pierres
Comme autant de truites sous la cascade
Remontent à la source du torrent
Les jets de paroles drues nous empêtrent
Pour peu que nous détachions des rochers
Un éboulis de langage avancé
Mais faites donc comme Miatlev
Les cailloux d’une l’alliance avec l’homme
Je demande à suivre l’inversité
Aux paroles que pressentent les bêtes
Accordons au moins notre frénésie
Un cou de cheval allonge un peu d’âme
Une peau de chat grésille d’ennui
La tête d’un chien vous répondra vite
Faut-il aussi vous approcher des lions
Pour qu’à leurs pattes vous entendiez vivre
La métamorphose des dieux bénins
Je demande que nous les écoutions
Aux paroles détachées de la nuit
Dont le troupeau vacille entre les crêtes
Je n’entends point retirer leur prestige
Que les inspirés leur concédèrent
Les arrêts des souverains messagers
Ils m’arrivent de l’exquise obscurité
Au grès de l’autre nature embrasée
Comme une mine de paroles sublimes
Je demande à manifester les nuits
Aux paroles enflammées des oiseaux
Les scies d’un vaste atelier affûtées
N’apporterons jamais une réponse
Aussi prompte qu’un fulgurant concert
A la pointe de l’aurore organisé
Par les buissons de moineaux et de grives
Sans oublier l’assaut mené des bouvreuils
Sous la règle solitaire du merle
Je demande que les oiseaux paraissent
Toute parole épuisant ses reflets
Le consentement me semble excessif
Comme la récrimination osée
Aux paroles pour se faire plaisir
Mais j’appelle à signifier un accord
Aux paroles qui dévorent le sens
De l’autre nature aidée en ses refuges
Comme d’aucuns ont espéré du ciel
Dans les siècles nourris d’allégories
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EDMOND HUMEAU
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Photographie Bruno de Cuyper