Rien ne finit jamais comme on voit dans les livres
Une mort un bonheur après quoi tout est dit
Le paladin jamais la belle ne délivre
Et du dernier baiser renaît la tragédie
L'homme a le souffle court et pour peu qu'on le berce
Le dimanche l'endort que c'est déjà lundi
La vie est une avoine et le vent la traverse
Sans y trouver jamais un accord résolu
Si l'histoire y poursuit comme les rimes tierces
L'irréversible amour des jours qui ne sont plus
Tout semble suffisant à l'étrange commère
Pour enchaîner sur le beau temps quand il a plu
Ou quand les amoureux enfin se désaimèrent
Au doigt d'autres enfants pour repasser l'anneau
Que pas un seul moment ne chôment les chimères
Elle transmet sans plus l'alphabet des signaux
Qui dicte à l'avenir une phrase secrète
Comme au ciel sans savoir fait un vol de vanneaux
Un passant dans la rue un second qui l'arrête
Avec le geste appris que la coutume veut
Il touche son chapeau montre sa cigarette
Et le rite accompli s'éloigne avec le feu
Que savent-ils de l'autre Un souffle Une étincelle
L'homme change mais pas la flamme et pas le jeu
La légendaire nuit ces étoiles l'ocellent
Il chantait l'air que tantôt vous fredonnerez
La fugue le reprend du bugle au violoncelle
Et le monde est pareil à l'ancienne forêt
Cette tapisserie à verdure banales
Où dorment la licorne et le chardonneret
Rien n'y palpite plus des vieilles saturnales
Ni la mare de lune où les lutins dansaient
Inutile aujourd'hui de lire le journal
Vous n'y trouverez pas les mystères français
La fée a fui sans doute au fond de la fontaine
Et la fleur se fana qui chut de son corset
Les velours ont cédé le pas aux tiretaines
Le vin de violette est pour d'autres grisant
Les rêves de chez nous sont mis en quarantaine
Mais le bel autrefois habite le présent
Le chèvrefeuille naît du cœur des sépultures
Et l'herbe se souvient au soir des vers luisants
Ma Mémoire est un chant sans appogiatures
Un manège qui tourne avec ses chevaliers
Et le refrain qu'il moud vient du cycle d'Arthur
Les pétales du temps tombent sur les halliers
D'où soudain de ses bois écartant les ramures
Sort le cerf que César orna de son collier
L'hermine s'y promène où la source murmure
Et s'arrête écoutant des reines chuchoter
Aux genoux des géants que leurs grands yeux émurent
Chênes verts souvenirs des belles enchantées
Brocéliande abri célèbre des bouvreuils
C'est toi forêt plus belle qu'est ombre en été
Comme je ne sais où dit Arnaud de Mareuil
Broussaille imaginaire où l'homme s'égara
Et la lumière est rousse où bondit l'écureuil
Brocéliande brune et blonde entre nos bras
Brocéliande bleue où brille le nom celte
Et tracent les sorciers leurs abracadabras
Brocéliande ouvre tes branches et descelle
Tes ténèbres voici dans leurs peaux de mouton
Ceux qui viennent prier pour que les eaux ruissellent
Tous les ans à la fontaine de Bellenton
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LOUIS ARAGON
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