Nous avancerons dans le brouillard des jours
avec entêtement
Car il faut avancer,
vers ces pays promis, toujours en fuite,
avancer sans répit,
sans repères,
riches de nos défaites et de notre espérance
Ce qui n'a pas lieu sera
ce qui pourrit, meurtrit, noircit
s'épanouira comme fleur au soleil
L'espace envahira nos paroles étroites,
nos rêves étriqués
Un souffle nous traversera, la grande respiration du monde,
balayant les ressentiments
et ce sera comme un retour à l'origine
Oh bercement des songes !
Nous avancerons jusqu'à maturation,
la peur et l'extase dans le regard
longeant le canal des esclaves
en proie au délire des feuilles,
des ravins qui fascinent
Les bruits légers du hasard viendront mourir sur notre certitude
d'atteindre enfin le lieu de la dérive
définitive
Nous serons exilés de toute terre,
détachés de l'obscur,
oublieux des anciens désespoirs
Stupéfiante splendeur,
toute ténèbre éclate un jour en pluie d'étoiles
et nous serons transpercés de blancheur
Nous avons le goût du sacré
mais il n'est d'autre dieu que ce feu
qui brûle en tous nos gestes,
désir obstiné de mourir,
ardeur à vivre,
dans les épines de toutes fleurs
Parias d'une amère éternité,
nous avons commencé le voyage il y a si longtemps
que les rivages se sont perdus
Oh sommeil désiré
claire sève du silence
Pourtant,
la mer est ce miracle où chante encore un Orphée fatigué
Que son chant nous réveille
et nous repartirons
Car il faut avancer, c'est la loi,
c'est l'épreuve,
et le déroute
et l'éclatant plaisir
Mais jamais, oh jamais,
nous n'arriverons au coeur du réel.
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COLETTE GIBELIN
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Oeuvre Miklos Bokor