Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l'herbe, cette nuit, les reconnais-tu ?
Tu te penches, et comme moi tu t'étonnes ; ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus bleues ?
Non non, tu te trompes, l'an dernier je les ai vues moins obscures, d'un mauve azuré,
ne te souviens-tu pas ?...
Tu protestes,
tu hoches la tête avec ton rire grave,
le vert de l'herbe neuve décolore l'eau mordorée de ton regard...
Plus mauves... non, plus bleues...
Cesse cette taquinerie !
Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance...
Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la première poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable, – des ruisseaux froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de Pâques, des jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes… Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un bonheur sauvage, d’une triste et mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour, dans une école, et qui échangeait des jouets, des images, contre les premiers bouquets de violettes des bois, noués d’un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes… Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores… Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre…
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COLETTE
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Oeuvre Eléonore Escalier