" On n’est jamais tout seul dans sa peau…"
On n’est pas seul dans sa peau.
Je suis habité; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j’éprouve une gêne comme si j’étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m’arriver que je ne m’entends plus moi-même. (Qui je fus)
On n’est jamais tout seul dans sa peau! Je suis multiple et me multiplie depuis des années à ne plus savoir que faire de mes " Moi " qui s’entassent. Je n’ai jamais su combien on était au juste, mais on vit à l’étroit, on se gêne, on s’encombre… Quand l’un veut parler, l’autre prend la parole, et on ne s’entend plus. Quand l’un veut bouger, l’autre ne veut pas, et on se marche sur les pieds. Je crois que je vais déménager; cette fois, c’est décidé, mais qui vais-je habiter? Et comment? On ne peut pas arriver dans la peau d’un autre, comme ça, ses valises à la main et le mettre devant le fait accompli, c’est monstrueux! Je le sais parce qu’on me l’a déjà fait, et ça c’est terminé de façon sanglante.
Il est temps que je me quitte pour aller vivre ailleurs. C’est dur de se quitter, mais peut-être renaît-on de ses adieux? Je suis fatigué de moi, il me faut voyager dans d’autres corps, d’autres âmes, d’autres langues… Il y a une semaine, je me suis écrit une lettre que je me suis lue, mais cela m’a fait plus de mal que de bien, j’aurais dû y mettre plus les formes, j’aurais dû me ménager –je n’ai jamais su être bon avec moi- j’aurais dû montrer plus de compassion à mon égard.
Enfin c’est trop tard, le mal est fait, les valises sont à la porte, je dois partir parce que je sais qu’on peut mourir de vivre!
HENRI MICHAUX
“Jamás se está completamente solo en su piel…”
No se está solo en su piel.
Estoy habitado; hablo a quienes fui y quienes fui me hablan. En ocasiones, siento una incomodidad como si fuese extranjero. Ellos son ahora una sociedad completa y acaba de sucederme que no me entiendo más a mí mismo. (Quienes fui)
¡Jamás se está completamente solo en su piel! Soy múltiple y me multiplico desde hace años hasta no saber qué hacer con mis “Yoes” que se aglomeran. No he sabido jamás cuánto era lo justo, pero se vive estrecho, se incomoda, se abarrota... Cuando uno quiere hablar, otro toma la palabra, y no se entiende nada. Cuando uno se quiere mover, el otro no quiere, y se pasa por encima. Creo que voy a mudarme; esta vez, está decidido, pero ¿quién voy a habitar? ¿Y cómo? No se puede llegar a la piel de otro, así, sus maletas en la mano y ponerle delante el hecho consumado, ¡es monstruoso! Lo sé porque me ha pasado ya, y eso terminó de manera sangrienta.
Es tiempo de que me abandone para ir a vivir a otra parte. Es duro abandonarse, pero ¿se puede renacer de sus despedidas? Estoy cansado de mí, me haré viajar a otros cuerpos, a otras almas, a otras lenguas… Hace una semana, me escribí una carta que me leí, pero ello me ha hecho más mal que bien, tendría que haber guardado más las formas en ello, tendría que haberme moderado –jamás he sabido ser bueno conmigo-, tendría que haber mostrado más compasión hacia mi persona.
En fin, es demasiado tarde, el mal está hecho, las maletas están en la puerta, ¡debo partir porque sé que se puede morir de vivir!
.