L'Ardenne…
J'habite
où les pierres ont manière d'hommes,
où les murs précaires en savent long.
La source prend très haut son cours
au delà des êtres privés d'enfance..
Ici,
la peau est folle d'un rien
d'une visite d'insecte
d'un gonflement de pulpe,
ni heurts ni prières
ne pourrissent les fruits par le centre.
Tout est instant
tout est attendu
et nous allons, aveugles souvent,
étreints par tous nos morts.
C'est ici que j'habite
à l'écoute des choses,
cri des argiles
ou éclatement des mousses.
Ici , le poème vient de peu :
d'une glissade du soleil
de la sourdine des mousses
qui rongent.
Ici , le poème se vit :
il naît
du babillage des sources
et de l'imperceptible souffle
des chemins nus.
Ici , le poème est matière :
il est dans toutes les plissures
dans le tragique des arbres
si tortueux
que le promeneur s'arrête
curieux du mystère.
Ici , le poème se déchire :
de l'oubli de l'eau
à la tension extrême
des rives
il se voile de pluie
et s'alourdit
de l'invisible.
Dans mon pays
les poètes viennent
d'une respiration d'herbe
d'un soupir de fougère…
Ils en savent les racines
et se perdent
dans chaque déroulement.
Leur verbe
grandit dans le silence.
Il s'insinue
jusqu'à la limite du mystère
et enserre la conscience.
On les croise
sans les reconnaître
et ce n'est pas
la moindre blessure !
Alors
leur regard glisse
et atteint la mollesse des fleuves
comme pour s'y reposer.
Une fenêtre s'ouvre.
De grandes étendues
d'arbres et d'eau,
y chercher l'oubli
ou l'absence de soi.
Puissant constant
l'invisible s'installe
sur la page où rien
ne sera écrit.
La vie palpitante
dans le remous d'orage
ou dans la sève
qui inonde soudain,
la vie s'éparpille
tout est illisible.
C'est un monde singulier
de terres érodées
un monde étrange de courbes et de poids
d'ombres et de gestes usés.
Il fallait vers l'indicible
tendre
ses nœuds
ses rêves épuisés…
Il fallait mêler
la boue à l'infini
et tout défricher
et tout arracher à la confusion.
Il fallait taire l'élan
qui jaillissait d'un jour à peine visible,
taire surtout
l'angoisse obstinée
qui marquait chaque passage.
Il fallait se libérer…
Il fallait choisir
l'indifférence
ou l'âpreté
il fallait creuser…
Forêt
unifiée
primitive
peuplée de mythes
et de souvenances
et de destins anonymes
trop portés par le hasard
masqués par l'habitude
et les nuits sans réalité,
tout était proche
encerclant
écrasant.
Il fallait se dégager
et partir
oser partir…
AGNES SCHNELL