Mort où tant de vie s'égare
de nos faibles yeux abandonnée.
Torrent tu nous étonnes
étincelant et boueux
de bouche en bouche
le doux et l'amer
cailloux et bois
achevés repris.
Ces photos floues
que le temps a bougées.
La lumière se cherche sur nos mains
et soudain tout est plume
neige neige —
Le même vent traîné dans le feu
la même nuit avec la même texture de branches
d'un bonheur inavoué.
La même croissance dans les gestes
et reffeuillement des mains sur la peau
trouées soudaines dans les formes
quand l'espace nous entend —
Nous avons vécu tout juste
le temps de ce poids
de tout ce qui sans plainte se déchire
ta vue hier soir
et ces tout petits ports des yeux
les paupières repeintes.
Depuis des ans nous n'avons plus commerce
qu'avec les pierres.
Nos pas s'allument aux craies aveugles
gisement étroit entre deux points d'eau.
Ma vie brûlée de tant de lumières
parfois d'une immense tendresse j'oublie
que tout est sourd
et me lève comme une mélodie.
Je t'écoute
son qui creuse les matins les corps très minces dansent sur les couteaux découpés dans la trame d'une résurrection —
Nos vies mûries au plus chaud de nos membres
toutes nos demeures en marche désormais
l'épaisseur obtuse de nos murs
de grève en grève et de mer en mer
poreuse et frêle dans la main
et partout ces écailles
où le jour frissonne et se décompose.
Je dis maintenant que tout est lisse et consterné je dis par les monts chauves de la mémoire dans les plis d'un grand rideau d'écumes quand s'ouvrent les fenêtres de mer que s'ajuste le ciel face à l'ombre et lisibles les rames du passant —
Jusqu'où m'étendrai-je à te veiller ?
Tu m'apprends à marcher quand la route se tait
N'oublie pas ce blanc du bois des fenêtres le soir.
La nuit circule le long de ses vastes réseaux ces pupilles se dilatent à vitesse constante et ne craquent jamais — tu n'arriveras jamais au fond de cette nuit
détail tremblant obstiné fiévreux
je lis ta rigueur dans l'ombre des fonds
tout est si lisse si net si reposé
aucun désordre ni colère
dans la neige pure des lois
les bêtes à griffes et à dents
luttent en silence
entre peau et lumière —
toute cette grandeur d'air s'engouffre dans les gestes tout ce qui n'est pas encore vient si près dans la paille de tant d'univers éteints —
je connais tes pas qui s'usent dans mes veines
je connais ton pas comme les mots que je fais
comme ce qui troue mon silence
et se défait
Tu verses des nuits dans mes membres
et me laisses
quand le jour se heurte à mes lampes
te refaire de rien.
.
LORAND GASPAR
.