(…)
Comme le Christ sur le lac...
J'ai marché dans ma vision.
Mais je suis descendu de la croix car je crains l'altitude
Et n'annonce pas la résurrection.
Je n'ai changé que la cadence
Pour entendre, nette, la voix de mon coeur...
Aux épiques, les aigles et pour moi, le Collier du pigeon,
Une étoile abandonnée sur les toits
Et une ruelle menant au port...
Cette mer m'appartient
Cet air humide m'appartient,
Ce quai et ce qu'il porte
De mes pas et de mon sperme...m'appartiennent
Et le vieil arrêt du bus m'appartient et m'appartiennent
Mon fantôme et son maître, les ustensiles de cuivre,
Le verset du Trône, la clé,
La porte et les gardes et les cloches.
Et le fer de la jument
Envolée des remparts m'appartient...
Et m'appartient ce qui était mien,
La citation de l'Evangile
Et le sel laissé par les larmes
Sur le mur de la maison...
Et mon nom, quand bien même je prononcerais mal
mon nom
fait de cinq lettres horizontales, m'appartient :
Le mîm du fou d'amour, de l'orphelin, de qui accomplit le passé,
Le hâ' du jardin, de l'aimée, des deux perplexités et des deux peines,
Le mîm de l'aventurier, du malade de désir, de l'exilé apprêté et préparéà sa mort annoncée,
Le waw de l'adieu, de la rose médiane, de l'allégeance à la naissance où qu'elle advienne, de la promesse des père et mère,
Le dâl du guide, du chemin, de la larme d'une demeure effondrée et d'un moineau qui me cajole et m'ensanglante
Ce nom m’appartient …
Et il appartient à mes amis, où qu’ils se trouvent.
Et mon corps passager, présent ou absent, m’appartient …
Deux mètres de cette tourbe suffiront désormais …
Un mètre et soixante-quinze centimètres pour moi …
Et le reste, pour des fleurs aux couleurs désordonnées
Qui me boiront lentement. Et m’appartenait
Ce qui m’appartenait, mon passé, et ce qui m’appartiendra,
Mon lendemain lointain et le retour de l’âme prodigue.
Comme si rien n’avait été.
Comme si rien n’avait été.
Rien qu’une blessure légère au bras du présent absurde …
Et l’Histoire se rit de ses victimes
Et de ses héros …
Elle leur jette un regard et passe …
Cette mer m’appartient.
Cet air humide m’appartient.
Et mon nom,
Quand bien même je prononcerais mal mon nom gravé sur le cercueil,
Mon nom m’appartient.
Mais moi, désormais plein
De toutes les raisons du départ, moi,
Je ne m’appartiens pas,
Je ne m’appartiens pas,
Je ne m’appartiens pas …
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MAHMOUD DARWICH
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Oeuvre Yasser Dhlan