Je ne sais pas au juste comment j'ai rencontré la poésie. Aucun de nous ne sait comment il s'est découvert lui-même. Dans la maison de mon grand-père, j'avais souvent l'occasion d'écouter de grandes épopées populaires arabes, toujours traversées de poèmes. Elles me fascinaient. En particulier, le rythme, la cadence. Si je me lançais dans une analyse plus freudienne, je dirais que j'étais maigrichon et que le seul terrain sur lequel je pouvais espérer battre mes copains était celui du verbe.
J'avais peut-être 12 ans quand on nous a demandé, à l'école, de célébrer le jour anniversaire de l'indépendance d'Israël. Le jour où nous les Palestiniens, sommes devenus des réfugiés. J'ai écrit un poème où je disais toute ma mélancolie d'avoir à fêter un tel évènement. Le gouverneur militaire israélien m'a convoqué. Il m'a menacé. Il m'a interdit d'écrire de nouveaux vers. Il m'a donné ce jour-là ma première leçon sur l'importance et le pouvoir de la poésie.
Depuis, ma conception de la poésie a beaucoup évolué. Ma vie durant, j'ai dû affronter la question de l'engagement en littérature. Je sais désormais, que la poésie n'est pas une arme. C'est une essence. C'est la résidence de l'homme sur terre. Elle évoque ce qui est commun à tous les hommes: la justice, le refus de la répression. Je sais qu'elle n'utilise pas les moyens de la guerre, et qu'elle est pourtant résistance. Célébrer la vie, c'est résister à l'oppression. En ce sens très large, l'engagement ne s'oppose pas à la poésie. En revanche, elle cesse d'être elle-même si elle se change en prédication ou en mots d'ordre.
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MAHMOUD DARWICH
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Photographie Bernard Liegeois