Oui d’ici
d’un seul pas
nous rejoindrons tout
Le tout nous rejoindrons
d’un seul pas
ou de dix-mille
Pas à pas
par le plus bref trait
par le plus grand cercle
Nous rallierons tout
Depuis l’extrême lointain
perçant le noir tourbillon
nous avait touchés jadis
La flamme
Nous n’aurons de cesse
que nous n’ayons franchi la ténèbre
nous n’aurons de fin
que nous n’ayons gagné l’infini
Pas à pas
par la voie obscure
par la voie nocturne
Car c’est la nuit que circule incandescent
Le souffle
Et que, par lui portés
Nous réveillerons
toutes les âmes errantes
Voix de la mère appelant le fils perdu
Voix de l’amante appelant l’homme rompu
Filet de brume le long de blêmes ruelles
Filet de larmes le long des parois closes
Le crève-cœur d’une étoile filante
crève l’enfance au rêve trop vaste
Le trompe-l’œil de la lampe éteinte
trompe l’attente au regard trop tendre
Si jamais vers nous se tend une main
serons-nous sauvés ?
Si jamais une paume s’ouvre à nous
serons-nous réunis ?
Déjà les feuilles de sycomores ensanglantent la terre
Les sentiers aux gibiers se découvrent givre et cendre
Plus rien que plage noyée et marée montante
Plus rien sinon l’ici
sinon le rien d’ici
Quand les oies sauvages déchirent l’horizon
Soudain proche est l’éclair de l’abandon
Pour peu que nous lâchions prise
l’extrême saison est à portée
Désormais à la racine du Vide
Nous ne tenons plus
que par l’ardente houle
Chaque élan un éclatement
Chaque chute un retournement
Tournant et retournant
Le cercle se formera
au rythme de nos sangs
Un ultime bond
et nous serons au cœur
Où germe sera terme
et terme germe
En présence du Temps repris
Oui d’ici
d’un pas encore
nous rejoindrons tout
Au royaume de nul lieu
la moindre lueur est diamant
D’un instant à l’autre
nous sauverons alors
Ce qui est à sauver
Du corps invisible
rongé de peines
rongé de joies
Nous sauverons l’insondable nostalgie
L’in-su
l’in-vu
l’in-ouï
.
FRANCOIS CHENG
.
Oeuvre Isabelle Diffre