Pour notre patrie,
proche de la parole divine,
un toit de nuages.
Pour notre patrie,
distante des attributs du nom,
une carte de l'absence.
Pour notre patrie,
petite comme un grain de sésame,
un horizon céleste...et un abîme caché.
Pour notre patrie,
pauvre comme les ailes de la grouse,
des Livres saints...et une blessure à l'identité.
Pour notre patrie,
aux collines assiégées déchiquetées,
les embuscades du passé nouveau.
Pour notre patrie, butin de guerre,
le droit de mourir consumée d'amour.
Pierre précieuse dans sa nuit sanglante,
notre patrie resplendit au loin, au loin,
elle illumine à l'entour...
mais nous, en elle,
nous étouffons chaque jour davantage !
...
Cadavres et anonymes.
Aucun oubli ne les réunit,
aucun souvenir ne les sépare...
Oubliés sur la voie publique,
dans l'herbe hivernale,
entre deux longs récits de bravoure
et de souffrances.
«Je suis la victime». «Non, je suis
l'unique victime». Ils n'ont pas répliqué:
«Une victime ne tue pas une autre,
et il y a dans cette histoire un assassin et une victime». Enfants,
ils cueillaient la neige sur les cyprès du Christ
et jouaient avec les angelots, car ils avaient
le même âge...Ils fuyaient
l'école pour échapper aux mathématiques
et à la vieille poésie héroïque. Aux barrages
ils jouaient avec les soldats au jeu innocent de la mort.
Ils ne leur disaient pas: «Laissez donc les fusils
et dégagez les routes que le papillon retrouve
sa mère auprès du matin,
que nous nous envolions avec le papillon
hors des rêves, car les rêves sont étroits
pour nos portes». Ils étaient petits,
ils jouaient et inventaient un conte pour la rose
rouge sous la neige, derrière deux longs récits
de bravoure et de souffrances,
puis ils s'échappaient
en compagnie des angelots
vers un ciel limpide.
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MAHMOUD DARWICH
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Palestine , Hebron