À Alep, les enfants n'ont plus d'yeux. Ce sont les poupées qui ferment leurs paupières. Les oursons meurent les bras en croix. Le pus des ballons crève. La mort des enfants règne dans le pays des cèdres. Les djihadistes se confondent avec les G.I. Joe. On ne compte plus les cadavres dans les ruelles en sang et les maisons en ruine. On compte les balles dans le chargeur. Chaque nouveau mort engraisse un marchand d'armes. Je n'aurais jamais cru les hommes si méchants. Le capital entoure le monde de cruauté. Un voisin que je croyais ami m'a brisé une épaule et menacé de mort. Si j'écris sur la mort, ce n'est pas par peur de mourir. Je serais mort si je n'y pensais pas. Je suis dans un grand vide que je remplis de mots. Lorsque je peux, je disparais entre les arbres, les tons sombres du bois, les brouillards de brume, les broussailles d'herbe folle et les cahiers brouillons. Je veux toucher du doigt ce que l'on ne voit pas, manger des yeux ce que le temps cuisine, retrouver l'âme dans la beauté des choses. Contrairement aux dieux, les eaux ne dorment pas. Elles miroitent parfois pour cacher le courant. La lumière se transforme imperceptiblement. La rosée du matin épouse le soleil. Des gestes frayent dans la laitance du jour. La pluie, cette langue du ciel, ce glissement de la main sur la douceur d'un sein, ce plissement de terrain, ce souffle des nuages, la pluie fait remonter l'enfoui dans les berceaux d'argile. Une autre langue bouge en moi en remuant des mots. Ils imprègnent la page d'une salive d'encre. En manque de papier, quelques phrases titubent sur la table. Je n'ose pas bouger pour ne pas perdre le fil. Il arrive qu'un crayon touche le plus vivant et soigne les blessures. C'est souvent dans les mots que l'âme touche le corps. Ayant perdu le s du mot oiseau, les frissons de la langue couvent un œuf à rebours.
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Jean-Marc La Frenière
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Alep