Nos souffles sont restés dans l’abandon.
Des brises lames s’enfoncent dans la cornée des heures mortes. Je suis estomaqué de voir combien le temps se limite parfois à la seule pensée qui m’occupe. Ta silhouette tabanège (1) à l’intérieur de mes rêves, tu es l’Arlésienne dans la fugue, tu es le sanquet (2) recueilli pour la marinade confectionnée par l’émotion. Tu fais la cabucelle (3) et le parfum du thym placarde les parois de ma mémoire. Qui du senti ou de la pensée précède l’autre ? Il n’y a pas de mesure pour exprimer ce qu’effleure le souvenir. Tu exacerbes mes sens à la rencontre de ce qu’ils ignorent et tu augmentes ma réflexion par-delà la simple contemplation.
« Uno terro, uno lenguo, un pople » (une terre, une langue, un peuple), je t’assimile à l’identité de notre culture. Celui qui n’est jamais allé en nôtre pays, te reconnaîtra dans l’accent qui épouse nos expressions colorées.
Et puis, comment oublier nos après-midi à jouer aux alentours du moulin de Daudet, nos cabrioles dans les champs qui bordent le Rhône, nos pique-niques aux abords de Maillane. Chaque champ de lavande me rappelle nos cache-cache improvisés, chaque champ d’oliviers me ramène aux promenades que nous faisions les jours sans école.
Le réel m’échappe toujours. Je voyage au travers de la pitrerie des jours lancinants comme des épures au pays des ruines. Je garde le contact avec ton fantôme. L’amour me conduit à pratiquer des excursions immobiles. Mon cœur trimballe ses malles à l’infini de tes contours.
(1) Tabanèger : vaquer à des taches sans grand intérêt. (3) Faire la cabucelle : couvercle d'un pot d'une marmite.
BRUNO ODILE