Le tyran a posé devant lui ses mains nues
et, seul devant ces mains étrangères, ces Mères
presque exsangues sur le drap pourpre des nations,
seul contre ces ménades pâles de l’histoire
dont l’ombre lacère sans trêve l’univers,
il fixe leur blancheur funèbre dans les âges
il sent la nuit grandir derrière elles, le sang
les soulever jusqu’au regard de dieu qui juge !
Les siècles neigeront en vain sur ces déserts
et le sang vainement saturera leur poudre,
ils sont blancs jusqu’au sang même dont ils sont teints
et nus, jusqu’à la mousse aride des armées :
rien n’ose les vêtir devant l’éternité,
pas même le Sang pur de la miséricorde.
Vertige aux innombrables mains, son Ombre immense
agrippe le tyran sans yeux, sans voix, sans mains.
(Son orbite est le creux des vents visionnaires,
son mutisme le seuil béant de la clameur :
la bouche noire il crie les foules, hérissées
de moignons si pareils aux siens, et qu’elles tendent
vers lui, dérision majeure !). L’Ombre est vide
à pic-horizontal où croulent les armées.
Ah ! Saisir ce rameau de ciel qui se balance
ce Signe ultime avant la chute illimitée !
Hélas ! L’homme est sans mains, le monde sans mémoire
l’Ombre aspire en avant le tyran fasciné,
il tombe dans la haine et la gloire : si dure
la surface de son orgueil, que pas un pli
n’en tressaille dans l’avenir. Ainsi la pierre
en sa lourde immobilité tombe sans fin,
ainsi croulent debout dans leur néant sonore
tant de statues coulées de l’airain des nuées
PIERRE EMMANUEL
Oeuvre Brooks Shane Salzwedel