Je coule du haut vers le bas.
L’accident, c’est le jour improbable qui devient une certitude pour la chair. Un corps amoindri sait la carence impitoyable. Le cerveau continue cependant à courtiser la part manquante. Qui s’installe dans la place vide ? Longtemps des membres fantômes ont baigné dans le sang qui me parcourt, véhiculant l’illusion jusqu’aux racines de mon être. Se défaire de soi nécessite la juste reconnaissance de l’impossible et de l’irréalisable. J’ai tenu entre mes mains le halo de conscience qui fait chavirer le monde à l’intérieur de la mémoire cellulaire. Un autre moi est venu à ma rencontre. Un cœur débridé court à ma recherche. Ma main fouille dans les rétrospectives d’un élan contrarié.
Je suis comme mort. Il y a une arnaque dans mes entrailles. Ma main gauche touche mon front du bout des doigts. Je marche sur l’ombre déformée d’une silhouette debout. J’irai à cloche-pied s’il le faut, partout où mon chemin deviendra une marelle. Enfant, je courais déjà dans le champ où des cheveux d’ange s’envolaient à chaque pas. La reconstruction semble se blottir dans les bras du hasard, mais il n’en est rien.
Demeure la structure et reste le cadre. Le contenant donne forme au contenu. Exilé dans un monde clos, l’avenir meurt de ses non-projets. La fatalité commence là où le hasard cesse d’être inopportun. La dualité qui précède la parole universelle ne fait qu’amplifier la solitude. Regard et parole témoignent. Que peut-on créer d’autre que la création elle-même ? L’art, sous toutes ses formes, ouvre les voies instinctives de nos décadences et de nos fulgurantes manifestations à survivre malgré la somme de vulnérabilités qui nous étouffe. Je ne suis plus qu’une présence intérieure dans l’absence universelle.
Je vais à moi comme l’eau des montagnes remplit d’abord les ruisseaux, puis les fleuves et enfin les océans. Je coule du haut vers le bas. J’observe la boucle infinie par laquelle l’orage et le froid précipitent la pluie sur les sommets. Je flotte au-dessus d’un cercle intouchable et je tournoie autour de la sincérité de chaque chose. Je ponctue le trousseau de vide avec quelques ponctuations incolores. Je suis le sans voix qui titube dans la confrontations des ondes toniques.
BRUNO ODILE
Oeuvre Books Shane Salzwedel