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Channel: EMMILA GITANA
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A MOTS OUVERTS

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 à André Chenet et Tristan Cabral

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Une pluie folle arrache la chemise des arbres. Les feuilles volent au vent comme des boutons qui pètent. Je vois les mots sortir des choses. Je les attrape au vol. Je ne joue pas aux mots comme on joue au soldat. J’en fais des parapluies, des bottines, et quelques fois des vers. Pour qu’une phrase se tienne, il faut placer les mots à la bonne place. Un semblant d’équilibre met la phrase en mouvement. La phrase n’est qu’un fil traversant le néant. Un mot mal placé suffit pour que le fil se casse. Je mets le temps debout, libéré de sa montre, et je couche l’espace sur un lit de voyelles.
Si la route finit au milieu des maisons, pour nous, errants, nomades, pérégrins, notre maison commence au départ des routes. Je cherche l’étincelle au milieu des ratures, des images oubliées, des bouts de phrases perdues au milieu des affiches. Le verbe «aimer» s’égare dans la boite à silence. Je dois le réparer pour qu’il serve à nouveau. L’invisible est partout. Je l’entends grelotter sans mitaines et sans bras. Je cueille pour le rêve une fleur de lait blanc, un fétu d’espérance, un pétale de vent. Le ciel sans étoiles ne cligne pas des yeux. Il dort sans lumière en attendant le jour. J’ai le cerveau qui crisse comme un grincement de porte.
Il y a des gens dont le cœur bat à peine, aux gestes si minimes qu’on les remarque à peine. Personne ne pleure quand ils meurent, sauf l’épicier du coin pour une facture non payée. On ne sait pas s’ils ont eu des enfants ou une peine d’amour. Pourtant, ils cachent une fortune dans une boite à souliers, de longues lettres d’amour qui sont resté cachetées, un livre de poèmes paru sous pseudonyme, un squelette dans le placard. C’est alors qu’ils commencent à vivre pour les voisins d’en face. Tout regard est un leurre. Quand on commence une phrase, c’est un autre qui parle.
Un jour ou l’autre, dans l’enclos carcéral que forment les écrans, nous resterons sans langue, sans corde vocale, sans voyelles, sans mots. Nous resterons sans voix comme on encaisse un chèque, porteur du sida. Le capital nous plie aux rêves des statues. Je cherche l’herbe folle, l’écume la plus verte, la table fraternelle, la langue maternelle, le partage du pain. Je cherche le ruisseau loin des brouilleurs de pistes, le soleil loin des brouillards de smog, les anges de clarté au cœur du labyrinthe. Il faut renaître à la magie des eaux et remuer la boue dans le corps ensablé. Il n’est jamais trop tard pour se remettre à vivre sans se rendre aux abois.
Une lampe de fleurs parfume la lumière. Je ne sais plus trop bien si je touche la pierre ou si la pierre me touche. C’est un matin où rien ne bouge, hormis les nuages. J’entends une voix de porte qui referme ses mots. Il me faudra chanter plus fort que le temps, creuser un peu plus creux, tartiner des voyelles sur un pain de papier, retrouver sous la cendre l’étincelle première. Il me faudra croquer dans la soif et la faim, caresser les épines jusqu’à trouver la sève, repeindre l’arc-en-ciel au pinceau du soleil. Je répondrai aux chiens, aux nuages et aux pierres. Il me faudra tirer la ligne d’horizon avec un filet d’encre, conjuguer les rivières avec l’herbe verte, la neige avec le feu, la tendresse des hommes avec l’absence de Dieu. La peau seule parfois nous sépare de la mort.
Il y a tant de vie dans le vide. Le corps doit s’ajuster à cette immensité. Des atomes se cherchent. Des notes de flûtes peuvent s’aimer. Des feuilles d’arbre se suicident. Il y a tant de vie partout. J’écris comme je peux. Je remue le dépôt dans l’encre de l’eau-forte. J’agite les voyelles dans le cornet des phrases. Avec ce qui fut sève, j’écris le mot thuya, érable ou acacia. Avec ce qui fut l’eau, je dessine le fleuve. Des fleurs de nuage au potager solaire, j’arpente l’infini. Tous les arbres se parlent dans des langues diverses mais le silence des pierres reste toujours le même.
Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Marchant. Observant. Écoutant. L’esprit tâtonne dans une flaque de mots. En ces temps de mots creux, laissant les hommes discuter, j’en reviens au granit, aux traces sur le sable, au reflux des marées. J’atteins la terre des métaphores, la pure gnose du monde. Je cherche quelque chose qui n’aurait pas de nom, une pensée sans tête, une idée sans personne, une phrase sans mots.
J’écoute la musique autour de moi: masse de sons végétaux, turbulences aquatiques, craquements célestes, ki-koua, ki-koua, cris stridents des oiseaux, lancinement des cigales. La forêt me devient un horizon mental, un livre d’heures relié de lichen, une oraison païenne. On trouvera des pierres au milieu de ces pages. Ligne après ligne, pas à pas, une pensée vagit. S’il faut tout partager, je donne mes voyelles, mon pain blanc, mes raquettes mais je garde pour moi la beauté des érables, l’infini bleu du ciel, le vert des collines, le silence de l’aube. Je ne ferai rien d’autre que regarder la terre et le souffle du vent. Je ne vois plus les mots sur les affiches mais j’entends les oiseaux: tcha-ka-tchak, tcha-ka-tchac, le son des roches creuses, le blues du grésil, le cri rauque d’un geai, le vol d’une buse. Le vent souffle. Les feuilles tombent. Les saisons se succèdent sans compter les années, sûres de l’éternité. Je sors de mes livres pour respirer la vie. Je voudrais créer comme la nature crée, respirer comme l’eau. Il y a si longtemps qu’une pierre médite sans en faire une église. Il y a des plumes, des arêtes, des gouttes de pluie inscrites dans la craie depuis des millénaires. Je marche et je m’arrête pour regarder le monde. Je ne fais que marcher, un crayon à la main. J’ai oublié la mer mais je garde en mémoire un petit creux d’eau vive au milieu d’un rocher, cette lumière blanche qui montait de la terre, la voix douce d’un ami. Chaque visage qui souffre est aussi mon visage. Chaque rire est le mien. Ce chevreuil surgi au détour du chemin, c’est un peu de mon sang. La neige se referme sur les traces d’un loup. L’espoir se replie comme une feuille au feu. Chaque instant est parfait. Il ne faut pas en faire un mauvais souvenir.
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JEAN-MARC LA FRENIERE
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JEAN MARC


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