Tu veilles dans tes yeux
aux bambous de ténèbres
Une lampe pour les autres
ceux qui t’observent
Le sang essuie les vitres
de nos maisons en ruines
Petites ombres tu suis les morts
à la trace de nos pas
Fraîcheur des lignes des barbelés
On se fait signe avec les lames de la rose
Les amants affrontent leur visage
Leur voix peuple les ondes de ce pays au tien
aux abîmes d’étoiles
Place
à l’eau qui dort dans l’eau au creux des mains
à l’air à ses chapeaux trop larges pour nos têtes
au sable à l’herbe jeune sœur de nos orteils
Place
aux brebis du vent halées dans les étables
aux vaches sourdes sur les paliers de grêle
au renard au chien bruyant des jours et des nuits
Place
au verbe ascendant vert des édifices
aux fenêtres à leurs rames épaisseur du temps
à la girouette montée sur roues de miaulements de chaton
Place
aux sirènes du souffle à leurs agrafes de lis
aux chevelures dans les sapins de l'orgue
au pain rose des museaux de poisson
Place
àla tour penchée des passions de paille
à la rouille des attentes des grandes voiles
à la mer aux villes suspendues aux cloches de Noël
Place
à la solennelle enquête des marches au cours fleuri
La parole est au soleil levé sur la salive
La parole est aux trente-deux candélabres des baisers
Minuit aux semences de lune
Le jour est au fond de la terre
dans le brouillard des pierres
dans les rêves boueux des branches
Le jour est dans les narines du lièvre
Ses bonds sont des poupées qui se lèvent
Place
aux poils rasés patrie du cerf
ton sexe que les navires traversent par vagues crache le désir
L'aventure est une idole aux seins de sel
Les marins la confondent avec la soif
Folie idole le poème comme ton sein
n'a ni commencement ni fin
Baigneuses rieuses
Vos bras serpents oisifs
Vous sentez l'amour
Nous quêtons dans vos chants
une place de nerfs et de feuilles
un nom pour nos collines
Les aiguilles du cri acclament leur fil
Aveugles elles naissent enfin à l'ouvrage
Fière idole le poème est ta robe de chute de rosée
au corsage pâle de cigale
Baigneuses englouties
nous émergeons de votre ultime pacte avec le feu
Le ciel est couronné de chapelles d’iris
aux palpitants autels d'ibis
Place
aux corneilles du son dans le gosier du chêne
à la craie sur les toits légendes pour enfants
au sommeil des ancres noires dans les dortoirs d’océan
Place
aux cerceaux des haltes à leurs sceaux de cire
au vieux part plein de rires en fruits
aux souveraines grilles sentinelles des heures
Place
aux momies des arches dans le sillage gris des ponts
à la poussière des fleuves la nuit sur les barques borgnes
aux pêcheurs penchés sur les racines mouvantes des mondes
Place
aux courroies des îles mille boucles de naufrages
aux soucoupes de l’aube les rayons pour chalumeaux
aux bulles d’incendie le long des lèvres humides
Place
au carrefour des fronts la pensée belle passante
à la rue aux fontaines appuyées à leur langue
au duvet d'ambre sur le visage étonné du matin
Place
au calepin de mousse sur le rocher altier de nos servitudes
La parole est aux doigts d’écume dans les terriers bleus des récifs
La parole est à l’arc-en-ciel sur l'épaule nue de la montagne
Lac moulin couché
A la pointe de l'aile
le blébroie le blé
Nous bâtissons sur les rives une promesse de vivre
aux torches de chouette
La lumière crisse dans le cristal
palette aux pétales de précipice
Le buffle fend la colonne
Rouge idole nous choisissons pour unité de mesure de nos liens
les plis irritants de ton haleine
Au col amidonné du phare
tu noues le fer et le plomb cravate à pois d'hymnes
La douleur dénombre à chaque escale ses vautours
Leur livrée toute en perles
Sûr silence
L'horreur est pour le clou
Les murs admirent
Les morts mentent
Nous avons vu l'orage daller nos dômes d’affres
Le Dimanche sur les falaises
et les sanglots sertir leurs vitraux dans le vide
Nous avons vu les heures fourrage apprécié
répandre leur gesse de cendres sur l'été
les tigres graver leurs pattes dans la chaleur
Nous avons vu le poing prendre son souffle
et atteindre les nues écureuil vengeur
Nous avons vu le bois attenter à son arc
Le poème est l'épave aux sources des assauts
que les chemins se livrent
La nature règne éternelle au cœur des citadelles
Le hibou porte en collier la clé lourde des mages
Le poème est la laisse aux abords de l'antre
del’idole aux lions
Place
au somnambule hardi les algèbres compromises
à la course des zèbres coupés de leur mémoire
à la flore affranchie des miroirs piétinés
Place
à l'incurable plaie du songe roux des forêts
Tu veilles dans tes yeux aux fusains de ton áge jeune fille inspirée
Le fort est ta fortune que les siècles assiègent
drapée dans nos drapeaux
Nous ciselons pour la faim un fermoir de flambeaux
aux fines franges de foudre
Le passé passe la main
Tu écartes en marchant tes cils frêles barreaux
idole à l'échode gestes manqués
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EDMOND JABES
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Oeuvre César Santos