En hommage à Vincent Van Gogh
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Pour une fois, je vais prendre la parole sans considérer cette faculté naturelle comme une automutilation que je m’inflige pour rajouter du mordant à l’intensité des émotions générées par mon combat psychique quasiment quotidien. Laissez-moi parler, docteur, il y a un conflit ondulatoire qui s’éternise dans mon être sans cesse envahi par des ondes antagonistes qui cherchent à s’y évincer réciproquement. Je regorge d’impertinences et deviens hutin et pugnace devant celui qui se permettrait l’audace de me reprocher mon raffut.
Je ne suis pas qu’un être physique ou simplement un corps matérialisé sur un sol florissant d’énergies lourdes, mon âme est insondable. Vous tentez à chaque fois de numériser mes neurones alors que pour vous, depuis longtemps, amour et humanité ne sont qu’incompréhension ? Vous allez feutrer les poils de ma peau à vouloir cerner le côté délictueux de ma personnalité ; nous ne sommes pas frères d’une même lumière, télétransmis dans la même sphère cérébrale par une même affinité neurotrope. Quelquefois, vous opérez dans un commerce pitoyable pour répondre au mieux à mes hallucinations innombrables, amusées par mon ardeur de jouet épidermique. Quand j’aime, je ne dis pas que l’amour est à moi pour laisser à la haine l’instinct le plus élémentaire. Ma musculature affective ne relève pas de votre sensibilité, je suis un phénomène opératif capable d’agir et de produire une semblance de lui-même à l’état sobre et pur.
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Vous me dites schizophrène, je vous le concède. Je suis un schizophrène conscient de sa schizophrénie et pour se plaire à l'avouer, il faut endurer des pluralités d’insomnies ; il faut tirer à bout portant sur l'érudition des pudeurs à la condition livresque et tant pis si elles en seront affectées. C’est vrai, je perds quelques fois toute notion d'espace et de temps et mes cheveux blanchissent prématurément à quelques endroits de ma palette mais rien de ce que vous pensez saisir de mes délires ne peut aboutir sans ma participation. Ma lucidité a le mérite d’être cyclique ; elle est élastique ; elle reprend à chaque fois sa souplesse d’origine après avoir été contractée. Laissez-moi parler, cela va vous éviter de procéder au téléchargement de mes pensées par effraction, sans crypter les codes de mon homéostasie subrepticement modérée dans un équilibre respiratoire devant lequel votre compréhension risque de déchanter. Nuages, froid, sexe, extase, cauchemar, craintes, surprise, joies, tristesse et sommeil ne sont pour moi que pétarade d'étincelles dans un douillet d'amour et de vin. Je me fustige inlassablement de rimes colorées comme une prime de ma propre colère où nichent mes plaisirs ailés et je m’enivre d’espoir alors que s’étrillent mes miroirs aux pastels de pluie dans le faubourg des indifférences qui m’ont déjà muté au nu vain et stérile.
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À force d’avoir bu tant de douleurs, il y a des orages dans ma bouche et mes mots tempêtent comme de fortes précipitations de soupirs expectorés en signes persistants de délivrance
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Patientez, docteur, ou alors, mettez-moi un oreiller sur la bouche et quand bien même, mon cri surgira de manière à m’extraire des absurdités paradoxales de la morale. Élu par mes nuits mandataire idéal de l’errance dont les chenaux m’ont ordonné label incontesté de la navigation entre les iles, transcendant les points de chutes, je porte mes jours comme un faix d’orgueil avec le vœu de rester libre dans ma raison jusqu’au trépas
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Je suis d’une douleur particulière, ma prose sur la paix n’est pas un âpre chant de désolation que la raison des autres m’impose avec la mystification de ses bruits au goût effréné du bavardage. Dans le souterrain de mes longs soliloques intimement rageurs, les autres pensent dénoter une altération pathologique de mes facultés mentale et je m’en fous. Etre incompris je l’admets, être confondu, je refuse. Il est inutile de me condamner aux partitions des autres pour mériter l’état normal. Je m’interdis obstinément la moindre joliesse acquise sans bouleversement des codes et sans habilité. Ma prose sur la paix est un chant rugueux et touchant d’oùémerge la vitalité contagieuse des insoumis dans l’exaltation de mes émotions intenses poussées au paroxysme sans endommager mes urgences. Mais, hélas, on est fou dès qu’on s’écarte du convenable dans les normes sociales dominantes comme des herbes qui croissent en désordre, en abondance et au hasard.
Un homme qui s’exclut de la morale des autres se mutile et qu’importe si ses yeux se dépêchent de regarder ailleurs. Il tombe comme un vieux enclin à la peur de mourir brusquement sans pouvoir dire adieu. Je me crois en enfer, peut-être que j’y suis ? Parfois, je procède à une analyse méthodique de mon cerveau, comme pour la défaillance d’un logiciel mais ma raison persiste à disséquer les particularités de ma folie qui se succèdent avec envie de me déchirer. Devenir fou, c’est ne plus s’appartenir, c’est se désincarner psychiquement pour n’être plus rien ni personne, ou alors, juste un cri d’une libellule qui lentement s’étouffe dans le souvenir des autres…
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Je ne suis ni tristesse ni ennui, docteur, ni l’arrière-gout des joies dans un monde supra sensible des aisances. Vous ne connaissez comme réponse que l’action périphérique pour agir sur l’esprit. Je suis fou parce que vous ignorez les vertus de la parole, Je suis le fou qui s’identifie volontairement au cheval mal traité de Nietzsche parce que je parle de la beauté dont la sensitivité sacrée s’insurge jusqu’à nous soustraire du relief contrefait des interdits. À moins que vous ne soyez chapardeur des expériences essentiellement sensorielles des autres, la beauté peut vous aider àévacuer vos ruminations sur la cohésion de l’être et de son esprit. La beauté déclenche l’offensive de la poésie. Oh, la poésie, voilà le corpuscule d’une extrême ténuité, docteur, qui restera de nous quand sonnera la fin des fins, n’en déplaise aux moralistes ringards qui s’effectuent d'un point aveugle sans le savoir.
On ne dégage pas de la poésie comme on éructe par effet de contre sens à son être. S’engager dans la poésie, c’est avoir l’exceptionnel privilège de réinventer à chaque fois les eaux de son bain, avec des ondes justifiant les effluves de son vin où le jasmin trouve intacte la tonalité de ses enchantements en fureur qui écorchent les inquiétudes et dépouillent le silence de ce qu’il a de féroce. Sinon, on se donne genoux à terre aux idoles qui fomentent des cendres dans nos volontés et de l’acide pulvérisé dans nos idées. Je ne collectionne pas les psys ni des idoles afin d’en faire des calmants ou des expédients à mes peurs soudaines, j’ai du gout pour l'audace. Par contre, je voudrai bien m’offrir les idoles des monarques et celles des psys mais il faudrait qu’elles m’appartiennent, qu’elles soient entièrement à moi et j’en disposerai à ma guise avant de leur cracher dessus pour conjurer mes craintes et réconforter ceux qui s’agitent dans la colère des incertitudes.
Vous vous voulez spectateur de ma vie que vous décortiquez dans une tentative désespérée de me reconstruire artificiellement dans l’illusion d’une réalité. C’est donc dans le sentiment chronique de ma dépersonnalisation que vous expérimentez vos propres doutes métaphysiques afin d’actionner vos mécanismes d'acquisition de connaissances qui servent de référentiel psychotropique à vos histoires sur le psychique alors qu’inversement, il n’est que le pendant intérieur de votre déréalisation. Oui, docteur, l’usure des lèvres étanchées me font encre rouge qui sèche sur une plume irritée contre les brises légères des dieux pénates aux revers déplaisants.
Ne cherchez pas dans mon subconscient, docteur, l’estampille de l’irréalité. Dans la grisaille de vos notes à mon sujet se succèdent mes graffitis de sueurs dans lesquels vous percevrez l’écho renvoyé par mes désirs dans une symphonie de rupture où mes lutins intérieurs ont posé leur dernière pierre. J’ai des folies en réserve alors que mon esprit n’est point une idée préétablie en dehors du rationnel et mon âme n’est pas une esbroufe soumise à la psyché inclinable des carabins caressant les horribles sorts.
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Vous cherchez toujours un accès à mon cerveau ? Faites gaffe, il vous sera plus difficile d’en sortir que d’en forcer l’entrée. La localisation physique de mes sentiments est une équation à plusieurs inconnues, elle sème le déséquilibre. Je ne suis pas un être soumis au calcul algébrique dans une méthode de géométrie variable. On n’entre pas dans la chambre de mon hypothalamus comme on va à l’offertoire des messes où les idoles sont rentables, où les dieux païens habillent Jésus d’un sentiment d’appartenance, développé pour actionner les revues destinées aux grands spectacles de la crédulité. Au risque de me dévoiler bigrement névrotique dans la blancheur crue des sunlights de la physique, je peux faire danser Bouddha à vos pieds dans une longue jupe de tartan sous le rythme aigu d’une chanson raï. Je suis ainsi, pire que moi-même. Je ne suis pas fou, docteur, je ne suis qu’un incrédule.
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DJAFFAR BENMESBAH
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Vincent Van gogh
Autoportrait