…où l’homme ne loue plus les immortels
qu’en soupirant sans cesse
Hölderlin
.
De lumière un besoin de lumière
dans une obscurité un sentiment d’obscurité
un besoin de lumière lucide au vif argent des oliviers
d’une lumière équitable
dans une obscurité où passe le noir de femmes endeuillées
un besoin d’ouvert de la lumière
Qu’arrive-t-il lorsque la vie se déserte ? questionne-t-elle. Quand la vie se déduit d’elle-même ? Et qu’elle éclabousse ou de sang ou de larmes. Lorsque les mots vont comme chat à la litière. Pisser un jet d’urine. Qu’il n’y a d’autre abri pour la parole que sa fuite. Un peu de sciure éparse autour de la boîte. Dans la domestication de la conscience, quoi demeure ?
Quand le regard ne tient plus qu’à un fil de désespérance il se couvre. Son soleil
démis de visage
Dans l’eau et le sable s’inversant, l’ombre force la clarté dans la demeure de l’être
le monde, nos bouches se disputent son os
et la parole dans la nuitée de la parole, quand nul fantôme d’elle-même ne hante ironiquement la parole
c’est un grelottement
qui tressaute au bout du fil à plomb
Elle demande : Que signifie l’absence qui s’étreint? Un trou noir de la conscience, tout son poids d’histoire l’effondrant sur elle-même? Cette conscience de chaussette retournée qu’est en ce moment la nôtre, vilaine affaire !
Et je n’ai ni mots ni main de miracle pour faire éclore à l’usé du talon
le trèfle de rédemption
Dans le caquetage incessant des signaux et des ondes – son brinquebalement de casserole à la remorque d’un camion (un grand silence me prend. Qui lui aussi est sombre) - y a-t-il une ridelle de jour? Un répit dans la crampe des échines courbées ? demande-t-elle. Ne serait-ce qu’une lime pour rogner un coin de clarté ?
L’ongle au bout des doigts qui casse c’est la fragilité
de notre nuit
et je n’ai pas de réponse prête
(à aller comme un gant) à ses questions
La lumière n’est-elle que l’envers de la nuit ? demande-t-elle. Un caillot de l’immensité ?
Je dis l’immensité n’est pas l’éternité. Et c’est une pause sonore. Une respiration illusoire, mais, dans l’interstice des syllabes, se fissure quelques secondes le compact de la nuit de l’esprit
son cerne épais sur la dentelle de cette nuit légère, bleutée, cliquetante, où se penche le corps accoudé au balcon
Elle dit : ce n’est pas ce que j’appelle nuit cette durée entre les doigts qui la déchirent. Dans le monde la nuit dit-elle mais peut-être je me trompe…
ainsi sont les mots : dépeceurs de dépouille
et la nuit dont elle parle est un cadavre de nuit. Une insignifiance grise. Une trahison de la nuit
dans la bouche qui prononce en elle sa nuit
Un besoin de lumière.
Même bougies ou lumignons. Leur ombre soyeuse. Presque de bête. De petit félin nocturne au poil doux. Une coquille de lune s’écrase sur elle-même. Disparue dans le feuillage du prunier. Anecdote de l’œil au jardin. Sa cueillette nocturne. Une consolation pour elle qui questionne à la périphérie de toutes choses parce qu’il n’y a pas de centre où nommer la chute de la parole dans son nom.
Quand se rompt le câble de la conscience et que sa carcasse flotte sur l’eau du bassin où va-t-elle fuyant en nous ? Qu’est-ce qui va et où se déduit-on de soi-même? demande-t-elle.
Il n’y a pas d’âme à cette exfoliation
seulement la peur et l’avidité
ou le regret de ne pas passer bras dessus bras dessous le pont d’une rivière dans la joie des amants
ou la course d’un lévrier avec son corps maigre sous son poil long
le déhanchement excentrique du lévrier afghan
et l’apprivoisement de la parole à sa surprise
Je parle de toi
et c’est une sorte de lumière
le vent dehors s’est tu
Baisse la voix, dit-elle, que j’écoute la procession des fourmis sur le tronc de l’amandier.
Ce qui vit est silencieux. Souvent sans cri. Il ne naît rien de vif dans l’éparpillement qui nous submerge.
Si tu cueilles un mot à ma lèvre garde-le ! dit-elle
Elle appelle, qui répond ?
Au labyrinthe de l’oreille pas d’Ariane pour dérouler le fil.
Je suis pressée de finir ma phrase comme on finit de vivre. Dans l’encombrement pour ceux qui suivent
et une lassitude d’encore attendre
Pas de monstres cachés sous les banquettes de skaï. Tous sont en nous. Au tic tac des poitrines.
Et nous à leur mendier la place de dormir tranquille
Pendu aux 131 portiques le clou du regard fixe la voix à la voûte
un besoin de lumière à hauteur de la lumière
au larynx une spirale de cendre, à l’évier celle de l’eau qui brasse miettes et épluchures, couronnes d’iris ou d’arums dans leur cornet roulé sur leur gros pistil jaune, une antenne à parole perdue, un phallus de fleurs et le pollen au pourtour de son rire dans la familiarité des mots
mais plus loin passé le seuil de la porte ils désertent
sur le paillasson
en nous la poussière
de tant de pas dans l’absence de route
Un escalier conduit dans la rue. La rue à l’avenue commerçante. Puis en banlieue. Puis, passé le périphérique, dans une campagne de chaumes.
Où allons-nous ? demande-t-elle.
Des crêtes de clarté se ruent à la pupille et je regarde sans voir. Plutôt, j’écoute, yeux fermés, le vide de la rue le soir
ou un à peine de brisé dans les blés
sous le vrombissement de l’autoroute
Parfois rivières, prairies, montagnes, glaciers, lacs, forêts surgissent à l’arcade, dit-elle. Amples. Dans une bouffée miraculeuse. Un panier de vie. Puis ils s’effacent
et demeure le défigurement
Souffrir n’est pas savoir. Pas même une échappée verticale
c’est simplement inutile
force et beauté sont sans promesse ni quête
seulement à main nue
le cœur bat sous le clapet des côtes
horloge intime qui ne porte nul autre ailleurs que celui du temps qui s’écoule
lueur minime entre les pousses
la terre labourée et son écorce sèche à l’arête des sillons
Il n’y a pas de quoi désespérer, je dis, posant la bêche contre mon genou, ce n’est qu’une vie avec ses colères, ses craintes, son tâtonnement et, à chercher le vrai, elle peine à poser en elle l’assise, genoux croisés en posture de yogi avec juste une crampe de ligaments à la torsion de la cheville remontée sur le mollet et droite la colonne d’air qui va du ventre au centre du crâne, bien ouverte pour que s’expulse l’âme vers son envolée et sa sagaie de sarbacane je la souffle par les pores.
Sages les maximes de sagesse mais, au delà de leur fraîcheur au front
rien que la serviette humide de sueur roulée sur la chaise
Une voix pulse en tout ailleurs son besoin de lumière en bout de langue comme les 22 lettres à celle du patriarche, paroles à respirer quand le souffle est court et l’espérance un effort trop grand pour une fatigue quotidienne qui monte marche à marche les escaliers dans la lassitude et parfois l’amertume
un besoin de
et son hamac tendu où s’allonger dans le pépiement des geais et des mésanges
le métronome du pic vert comme
une façon oiseau de dire toi
dans l’épaisseur du monde
Vers où cette écoute de l’entier de tout ? demande-t-elle. Est-ce qu’elle suffit à chasser les ténèbres ? À assécher le sang, à laver la souillure de nos croyances ? À ramener taper au carreau le bonheur d’exister ? Qui déchirera la rétine de nuit qui rabat nos visages sur leurs rides et quel mazout pour l’hiver de la lumière ?
Qui serons-nous et serons-nous dans dix millions d’années têtes pendues à l’encolure de l’oubli ?
Un coup de lumière
comme un talon frappant la vase d’un fond de lac, nageoires déployées, mon cœur, dis, ma vie, tout à coup, le ciel pour nous et la lumière égale sans déduction
même si l’eau est muette
tout à coup la nudité des corps
et une souveraine indécence tout à coup dressée
tout à coup l’espace
et le souffle aux 77 noms dans les nombrils accolés
Nos lèvres portent la malveillance des dieux et leur malédiction, qu’ils s’écroulent à jamais dans les ronciers, sceptre en gloire émergeant des joncs et des iris
bus par la boue de nos bouches nos dieux décapités
Une pomme sure tombe dans la flaque du tronc arrosé. Elle s’y lave de tout avenir. Et va pourrir dans l’eau. À moins que des doigts ne la ramassent. Un hanneton se faufile par les talures de la peau, son goût de pulpe mûre sous le palais tiède de chaleur et d’eau croupie.
Un canif de lumière
pour détacher le pétiole du fruit
nos dieux de notre humanité et faire nuit paisible
dans l’odeur d’aloès et d’eucalyptus
le blanc de la mer et son chemin de lune
qui ne mène qu’à son scintillement d’étoiles humides
Orphelins enfin
peau de caïman posée sur le fauteuil en simple robe de chambre
et pas d’autre mystère à explorer que
celui des paupières qui se ferment
Dans le chant celui de la langue coupée
à l’œil le guet
entre mérite et démérite le fléau de la règle pèse les mortels
et la voix taille les mots dans leur attente.
Ce soir là, dit-elle, ainsi commence l’histoire et sa fin reste intacte. C’est un timbre d’alto. Une note aigue de klaxon. Un sifflement de bise. Un roulement de tari. Ma tête sur le billot, il n’y a rien qui ne soit faux dans nos histoires, rien qui ne soit vrai dans nos fables.
Cycliquement, des hommes en décapitent d’autres ou enterrent leurs femmes dans le sable. Simplement comme on troque un tissu. Comme on barde une pièce de bœuf. Sans remords ni inquiétude. Ni sauvagement. Ni innocemment. Parfois dans une sorte d’extase de la mort. Mais le plus souvent communément. Un vieil héritage de raptor et de tyrannosaure. Et ceux que ça révulse se figent dans une stupeur hébétée d’herbivore.
Aux questions des questions. À l’humain l’inhumain. Deux coques de castagnettes tintinnabulent l’insignifiance et le terrible.
Vers où allons-nous dans l’aveuglement et l’indifférence? demande t-elle.
Et c’est une voix d’enfance qui murmure à ses lèvres, car pour le reste
c’est groin de porc par où transite la parole
Un chiffon de lumière
pour faire rendre gorge à la malédiction
et que vibrent d’autres cordes que celles des pendus dans l’intact invisible du vide
un besoin de terre sur nous
pour enterrer l’entier de notre histoire
d’une terre lourde. Charnue. Sexuelle. D’une belle terre ventrue de femelle, d’une bonne terre de mâle couillu se remettant au monde dans le poil du seigle de mer
et nous avec
cul lavé par le jusant
Un besoin de tympans pour écouter la lumière
(sa voltige de photons et de quarks, son petit pas menu quand, à l’aube, un pied de fillette trottine sur les taches de jour glissées dans la pénombre)
et que les yeux se ferment au désastre de voir
Un événement une annonciation sans miracle
une éternité sans suite
enfin la fin
et la mamelle de la terre retournée sur elle-même en récipient mental – concept où déverser un dé de connaissance – même si au fond du bol c’est la lie d’un vin de jouvence déjà bu
Trop tard pour une écoute
mains en conque autour du lobe
ohé vivants, de quel côté du réel posez-vous le mot qui le dit ?
L’effroi et la terreur ne sont que nôtres, ailleurs la nuit est douce, l’argile meuble, le lumen des galaxies continué
Pour l’intervalle où se love une vie en bolet sous la mousse, il suffit d’un rai de lumière griffant la vitre – les étoiles trop loin pour faire signe –, de la lueur d’un lampadaire, d’une allumette, de l’aura bleutée d’un téléphone, de la rencontre de phares et de lucioles giclant écrasées contre le pare-brise, où les essuie-glace nettoient leurs traces rosâtres, pour que les ordres se mêlent de nouveau et que ne se puisse séparer ce que nous sommes de ce que nous sommes.
Une voix dit je t’aime dans le portable coincé entre la joue et l’épaule tandis que les mains s’affairent à nettoyer les cadavres d’insectes grésillant sur le capot.
Et c’est ainsi
même si les mots préfèrent papillonner autour d’une même corolle – et ce serait chanson de la prairie aux coquelicots – ce n’est pas et il se pose tout ensemble l’ensemble de tout. Les aulnes avec leurs tarins. Le jabotage des pigeons avec leur carcasse mangée de fourmis rouges dans les poubelles des squares. À l’arrière-train du langage un âne peut braire de passion.
Paix dans l’engorgement des paroles impatientes, rien ne dit rien de plus qu’une existence et sa limpidité circonscrite à l’infime et au vaste.
En marche ! Au trot !
La mort sent le formol et la viande avariée
la guerre l’excrément et les gravats de placoplâtre
le peu de chair qui reste aux lèvres égrène encore un mantra de baisers
petit serpent véloce, viens, viens piquer le sein dénudé que le nom disparaisse dans la chair
nimbus chargé de pluie quand rien n’aura plus lieu de ce que je connais et
ce sera la délivrance
Grelottent les cloches au cou des mules. L’abattoir n’est pas plus loin que le sommet. Ils se rejoignent dans l’union trismégiste des contraires. La bouse de bique sera changée en or par Nicolas Flamel et le chemin des cimes s’ouvre sur la Montjoie des pérégrins. La force de l’amour nous fera tous renaître entre les lèvres roses de l’orchidée pyramidale.
Elle demande : Qu’est-ce que tu racontes ? Je caresse sa joue du regard, allant le dit à son attente inventive, au clinamen du visage, nos voix couchées en nous
avec l’envie de vivre comme un mot sur la langue
à déglutir les multiples de l’univers
pour un repos repus et consumé
Dans le pré une pie. Sur la table les œufs, la ciboulette, le pot de lait et une pincée de farine. Une cuillère de bois pour touiller le tout d’une rotation rapide du poignet. L’huile fume dans la poêle. Il se murmure encore quelque chose au col de l’horizon, dans ses plis de rayons délavés accueillant l’indicible, mais rien n’éclot sans aile au nid de dire.
Deux pierres bâtissent deux maisons et sept pierres plus de cinq mille, c’est à partir de là qu’il faut compter.
Admettons que nos paroles aient force de quasar dans une langue où les langues finissent
qu’elles suffisent à inventer d’autres soleils avant que le nôtre ne vire naine noire
Je passerai mon besoin de lumière au ressassement de la langue jointe grain par grain à elle-même
à démêler la filasse noueuse des bouées
à tondre la plume des oisillons pour un duvet d’innocence
mais ce que j’invente ainsi de ma vie a déjà eu lieu
il lui reste l’éternité pour se défaire
demain s’en va pour me rejoindre
ici maintenant un corps penchéà la fenêtre
écoute la nuit
son besoin de lumière en elle
s’assouvit
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CLAUDE BER
Editions de l'Amandier 2015
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Photographie Thami Benkirane
https://benkiranet.aminus3.com