Viens ici, faisons une poésie
qui n’ait senteur de rien
et cependant tout dise,
et soit ruisseau de sons
grêles
qui dans les sables se perd et meurt
quand son murmure s’amenuise ;
faisons une sonatine pour piano
à la Maurice Ravel,
petite musique incohérente
mais sans complications,
de toute façon crois bien
qu’à gratter le fond point de sens ;
faisons quelque chose d’un genre léger.
Viens ici, point même besoin d’aller
déranger la Nature
avec ses graves paysages
et les pyrotechniques astrales ;
nous n’irons pas chercher non plus
les grands problèmes éternels,
l’immortalité de l’Esprit
ou semblables casse-tête ;
nous ne dirons que quelques phrases communales
sans grande prétentions,
gens désormais classés
gens dénués de « profondeur » ;
et si les mots viennent à manquer
nous arracherons le fil du discours
pour nous distraire
par un menuet approximatif voué
à se dissoudre en arabesques d’or,
à se briser en grande pluie de lucioles
et disparaître en laissant dans nos yeux
des étoiles qui pullulent, d’obsédantes lumières.
Puis quand s’alanguira la sonatine pour de vrai
nous l’achèverons comme le veut la mode
sans péroraisons hurlantes ni emphase ;
nous l’achèverons, s’il nous semble bon,
au moment où elle semble reprendre :
et le public en reste les yeux ronds.
Nous l’éteindrons comme une chandelle, d’un coup. D’un souffle.
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EUGENIO MONTALE
Traduit de l’italien par Patrick Derval Angelini
(Extrait de Derniers poèmes, Gallimard, 1988.)
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