Merci à Marie-Paule et Raymond Farina
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De nouveau la guerre. Il y a ici un tel cafard, une angoisse générale qui vient de tout ce qui se dit et répète sur la prochaine occupation de Nice que j’en suis très affecté par contagion et mon travail est particulièrement difficile. Heureusement je viens de finir presque un tableau commencé il y a un an et que j’ai menéà l’aventure — en somme chacun de mes tableaux est une aventure. D’abord très réaliste, une belle brune dormant sur ma table de marbre au milieu de fruits, est devenue un ange qui dort sur une surface violette — le plus beau violet que j’aie vu —, ses chairs sont de rose de fleur pulpeuse et chaude, et le corsage de sa robe a été remplacé par une blouse roumaine ancienne, d’un bleu pervenche pâle très très doux, une blouse de broderie au petit point vieux rouge qui a dû appartenir à une princesse, avec une jupe d’abord vert émeraude et maintenant d’un noir de jais. Que tu es belle, ma messagère au bois dormant! Tes yeux sont des colombes derrière leurs paupières. Et elle rêve d’un prince français prisonnier d’antan dont j’ai lu et relu les poèmes pour en faire un choix. Je me suis toujours méfié de la littérature, mais je ne l’ai pas seulement illustrée, je l’ai soigneusement, amoureusement recopiée, et l’on en trouve l’émerveillement dans mes thèmes.»
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HENRI MATISSE
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Oeuvre Henri Matisse