N’oublions pas que les premiers poètes et les premiers imagiers ont été d’instinct les chantres des sources, des gerbes, des faucilles, des charrues et des poteries. Ce n’est point que l’abstraction manquât de leur temps. Non, les richesses inscrites et comme fumantes dans le spectacle des choses leur semblaient suffire à tout emportement de plus haute essence. Aussi ce ne sont ni les peintres ni les poètes qui ont rompu toutes relations avec les simples, mais les ministres, mais ceux qui croient que la conception, les spirales de la subtilité pure, le romantisme ou l’ascétisme social comme volonté, ou l’audace des conseils de cabinet changeront quoi que ce soit au chant de l’alouette, à la récolte des pommes de Normandie, aux pluies, aux vents, aux nids, à cette éternelle navette que font les poules et les oies de la grange à l’abreuvoir, du potager au jardin, de la basse-cour à la lisière. Là-bas où sont les fermes, les possibles demeurent inconnus. Un chêne est un chêne, un cheval un cheval, et une mauvaise année une mauvaise année. Et rien de plus. L’esprit de l’homme est impuissant contre l’énergique distribution de cet échiquier. Il le voudrait, et Dieu sait qu’il ne s’en prive guère, il le voudrait qu’il n’y pourrait rien – sinon détruire ! Vues d’assez haut, de ce promontoire virgilien où le monde apparaît avec ses paysages de confiance et ses dieux agrestes, les guerres ne sont que des entreprises de l’esprit contre la matière, des révoltes cycliques de l’idée contre le sillon, le bouleau, l’écureuil, le goujon, le seigle, le lard, l’échelle ou le bœuf. Car l’idée s’irrite toujours devant l’indifférence que lui témoigne l’herbe ou le granit.
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LEON PAUL FARGUE
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Photographie Thami Benkirane
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