O villes d'Orient, Ninive aux jardins suspendus,
Babylone drapée de pourpre, Ecbatane superbe,
Persépolis éblouissante de marbres, toutes je vous connus
quand j'errais dans la plaine entre les deux fleuves,
voyant les péchés de vos rois
et lisant dans le ciel le châtiment
qui devait s'ensuivre .
Mais ce ciel était si cristallin
qu'en le contemplant,
en dépit de tant de signes à l'évidence néfastes,
je ne me sentais pas inquiète .
L'avenir me paraissait déjà comme un lointain passé,
une douleur fanée pacifiée par les siècles;
l'attente comme la mémoire : toutes les deux légères
comme le bruissement d'une haie dans la nuit,
pli mince sur le vent - et le vent comme un fleuve
plus vaste que l'Euphrate, emportant tout
vers un invisible delta .
Je regardais les étoiles lumineuses se suspendre
aux rameaux obscurs du ciel, la lune mûrir
comme un fruit argenté avant de se réduire
à un fruit d'ombre .
Prodigieux était l'ordre naturel des choses,
d'avantage qu'une folle comète
apparaissant soudain ou que des pierres incandescentes
tombant du ciel sur la terre
en m'inspirant mes prophéties .
A l'instant même où je les prononçais
pour ceux qui m'écoutaient effarés, je restais consciente
de cette première et ultime nuit inviolable
dans laquelle tombe éternelle la rosée,
s'élève le chant des grillons, bruissent les feuilles
au vent, tandis que la lune et les étoiles accomplissent
leur course .
Je l'accueillais encore
et d'elle m'enveloppait dans une région intacte
de l'âme, par delà l'amertume
de l'homme auquel j'annonçais le destin
de ses royaumes éphémères .
.
MARGHERITA GUIDACCI
Traduction Raymond et Bruno Farina
Extrait de Liber Fulguralis, Collection La mela stregata,
Faculté du Magistère, Université de Messine, 1986
.
Ninive