Le gris argent du matin, l'architecture des arbres perdus dans l'essaim de leurs feuilles.
Le parcours du soleil, son apogée, son déclin triomphal.
La colère des tempêtes, la pluie chaude qui saute de pierre en pierre et parfume les prairies.
Le rire des enfants déboulant sur la meule ou jouant le soir autour d'une bougie à garder leur paume ouverte le plus longtemps sur la flamme.
Les craquements nocturnes de la peur.
Le goût des mûres cueillies au fourré où l'on se cache et qui fondent en eaux noires aux deux coins de la bouche.
La rude voix de l'océan étouffé par la hauteur des murailles.
Les caresses pénétrantes qui flattent l'enfance sans entamer sa candeur.
La rigueur monastique, les cérémonies harassantes que les bouches façonnées aux vocables latins enveloppent dans l'exultation des liturgies pour célébrer la formidable absence du maître souverain…
Les grands jeux dits innocents où les corps se chevauchent dans la poussière avec un trouble plaisir. Les épreuves du jeune orgueil frémissant à l'insulte et aux railleries.
Le bel été qui tient les bêtes en arrêt et l'adolescent comme un vagabond assoupi sur la pierre.
Le pieux mensonge filial à celle dont le cœur ne vit que d'inquiétude.
Le vin lourd de la mélancolie, le premier éclat de la douleur, l'écharde du repentir.
Les fêtes intimes d'une amitiééprise du même langage, la marche côte à côte sur le sentier des étangs où chacun suspend son pas aux rumeurs amoureuses des Oiseaux…
La fille pendue à la cloche comme un églantier dans le ruissellement de sa robe nuptiale, le feu pervenche de ses prunelles.
Ce ne sont ici que figures de hasard, manières de traces, fuyantes lignes de vie, faux reflets et signes douteux que la langue en quête d'un foyer a inscrits comme par fraude et du dehors sans en faire la preuve ni en creuser le fond, taillant dans le corps obscurci de la mémoire la part la plus élémentaire :- couleurs, odeurs, rumeurs -, tout ce qui respire à ciel ouvert dans la vérité d'une fable et redoute le profondeurs.
Sans doute eût-il fallu, pour garder en soi un fond de gaieté, ne rien voir du monde ni entendre qui vienne de son versant le plus sombre, rien que les éclaircies au sommet et la musique parfois d'une ineffable beauté, mais c'est là encore rêver tout haut, car croirait-on avoir occulté l'innommable qu'il bondirait hors de l'ombre pour rentrer le rire dans la gorge.
Dans le jour douteux de la chambre où l'on dira entendre fermenter la mort, ce vieux corps possédé par la souffrance, ce regard en faction sous la broussailleuse grise des sourcils comme travaillant avec une extrême duretéà se voir mourir, ces lèvres où s'entrouvre d'une manière déchirante le sourire timide d'un enfant, ces doigts joints sur le cœur qui cède en un frémissement désolé, ce visage soudain muré dans une absence stupéfiante.
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LOUIS RENE DES FORÊTS
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Oeuvre Pierre Eugène Montezin