La sente s'accôte sans tarder au flanc du versant.
Pierreuse, parcourue de minces filet d'eau, aux bordures
jonchées de fleurs et de plantes grasses des rocailles.
Majestueuse, dans toute sa longueur lovée sur la pierre
réfringente et humide, une couleuvre se dore au soleil.
Le bruit des pas la dérange. Elle s'y dérobe, sans bruit,
furtivement, puis nous abandonne, n'en finissant plus
d'onduler avec une grâce lascive.
Quelques minutes d'ascension distancent de la voie,
commune et du tumulte ferré. Le tracé disparaît
sous un dais de ciste blanc et de cistes de Crète froissés ;
le ton de l'évasion est donné, ponctué
par quelques cairns chancelants, aux issues aléatoires...
De la route monte la rumeur des chevaux vapeurs qui,
peu à peu, s'étiole, se perd dans les horizons brumeux
de la mer tyrrhénienne. Le sentier chemine, élonge
un petit cours d'eau dont le chant à la brise se mêle.
Le gazouillis des passereaux emplit la combe. Subreptice,
le trille d'un oiseau inconnu retentit. Les blocs erratiques
lancent de terribles oeillades, depuis l'aube des temps et leurs grottes
aux ocres oxydés. Présence imperceptible dont quelques
marches usées révèlent le passage, en silence, à toujours.
Le chuintement de l'eau monte de l'abrupt en chutant
comme un lointain appel.
La curiosité vire à la récompense
lorsque la voie ombreuse, sinuant sous la fraîche ramée,
imperceptiblement décroche et s'échappe
vers le ruisseau. Apparaît un havre de paix
et de trous d'eau translucides.
La frondaison des arbres à baies en berce la monodie.
La terre rouge effeuille aux ciels sans nuage
les pages d'une transhumance sans fin.
Halte providentielle où ensemencer la pensée,
s'impreigner de l'instant sans nom ni montre
qui eussent cadré la course du temps ou l'époque.
La ville n'est pourtant point distante
et, déjà, l'ascension revêt tous les agréments
de la grande randonnée en moyenne montagne.
A hauteur d'un petit plateau herbeux, enchâsséà souhait,
l'itinéraire offre deux options opposées. Vers la droite,
un champ couvert de vipérines vaut sublime invitation.
Nous la déclinons !
Les abeilles butinent, l'essaim volette au comble
des cieux retissus du printemps.
Harmonies pastorales désormais réfugiées
quand elles ne se meurent pas à la porte du progrès,
de l'évolution forcenée, de la chimie et ses engrais.
L'olivier sauvage, ses rejets vivaces effacent
le genévrier thurifère, se font plus présents, au diapason
des murets et des enclos à bétails.
De gros murs éboulés traversent un épais maquis
et se perdent en grisonnant dans un fouillis inextricable.
Vie pastorale suggérée que l'on espère recouvrer
à l'orée du vestige, de la ruine, touchant au but probable
de l'investigation, en pleine nature, à l'intime
des mondes oubliés et en sursis, un jour,
quand ils furent privés de source et de bras !
Ainsi, de se laisser guider, entre l'orientation spontanée,
l'intuition et l'immémoriale évidence d'un don, d'une manne.
Les Anciens affectionnaient ces lieux où les vents dominants,
l'ensoleillement, l'eau et la végétation concouraient
aux meilleurs compromis qui eussent assuré l'autarcie,
plus que la subsistance, l'abondance des nourritures terrestres.
Ils s'y sont établis, longtemps, avant de disparaître à jamais,
sans que l'on sût vraiment la cause majeure, irrévocable.
La végétation a tant poussé. Elle s'est refermée
sur l'habitat n'acordant plus aux fenêtres que les pans
d'un azur aveuglant par lesquelles les souvenirs se sont envolés.
Lézardant la large façade de la bastide, une fissure
laisse échapper comme un filet de voix. Recueillement !
Thébaïde lénitive qui eût complu de nos jours à l'hermite,
à l'anchorête, en quête de méditation et de prières.
Un chêne vert plusieurs fois centenaire
accueille le nomade et le convie à sa table taillée dans le granite brut.
L'arbre, vénérable, veille. La frondaison obombre du petit jour à la nuit
la place du hameau aux pierres safranées.
Perfection, force des chaînages d'angles, des assemblages, dont la taille
savante éprouvent plus d'un siècle d'érosion.
Pas un bruit ne trouble l'humble repas.
Toutes les ouvertures du bâtis dévisagent l'inconnu.
Le four à pain attenant abrite une ombre amnésique.
Immersion au-delà des décennies, évocations silencieuses
dont les figurines et les santons fabulent un imaginaire improbable.
Mais le voyage mérite que l'on s'y atèle, telles ces alliances qui
des bêtes aux hommes unissaient leurs efforts afin de figer
les fondations de la mémoire, à toujours !
Il est de nos jours
des volontés inspirées qui se lancent à la reconquête
du patrimoine ancestral, avec tant de talents, comme s'ils eussent été
de la lignée directe, mus par quelques allants mystérieux et communs,
disposés à dresser à nouveau la pierre carmine de la terre ocreuse
sur fonds de Grande Mer violine et d'horizons safres.
Ils ne sont plus très loin, qui investissent
coteaux et adrets, en montant à l'ancienne hameaux et maisons
en s'appuyant sur les rocs des îles : un duo rebelles.
Puisse le maquis complice se refermer sur ces écrins,
sans les démolir, précautionneusement, secrètement.
Laissons à l'errance et à la curiosité le soin de guider le nomade
en ces lieux d'authenticité qui s'absentent des clichés,
solennels et beaux.
N'ayons de cesse de recourir aux compositions de nos aînés en
y apportant une touche de modernité mesurée, sobrement ...
Et nous redonnerons à cette Île ses accents de vérité
qui n'ont guère de prix.
Linteaux, robustes jambages, clés de voûte, meurtrières, vantail disjoints
et c'est le granite qui rayonne encore comme un automne
sur un lit dévalé de poutres, de bois de fer enchevêtrés,
dès les premiers rayons du soleil comme ils s'embrasent
au couchant. Souvenance des amants étreints, unis pour toujours
dans les effluves asphodèles et les myrtes ...
Et si les maisons de nos aïeux ne redoutent jamais la pluie,
les vents et les violents orages, on les sent fébriles,
tellement désemparées devers l'oubli, l'abandon
qui inexorablement affouillent les contours
de la mémoire, des saisons passées àéchafauder
le sens d'une vie,
autant de lunaisons vécues sur la terre rougeoyante
qui engendrèrent de nobles métiers, de nobles savoirs.
Je ne dis pas l'histoire mais l'émoi et le ressenti.
D'aucuns l'auront si bien retracée, évoquée.
Retrouvez-en les archives qui vous parleront
en dévoilant tant de choses et de faits étonnants. On ne peut
croiser de tels moment sans en effleurer les récits locaux.
Nous existons si proches d'une réalité qui aura été et perdure
dans le lignage de la pierre taillée,
sans pourtant le savoir et y penser.
Il est vrai que les beautés sauvages paraphent souvent
le silence, la solitude, les siècles en perdition... Mais de tout
un hameau abandonné, qui s'esseule malgré lui, dépossédé
de repères qui eussent valu témoignages, fêtes patronales,
pèlerinages aux sources !...
Après tout, est-ce mieux ainsi, oyant, écrivant de temps à autre
quelques élégies polyphoniques à la louange de ce qui fût
et ne sera plus qu'au souffle cristallin des vents,
aux cordes sibylline de la Cetera, aux sonnailles lointaines,
à la voix d'une Terre pétrée dont on révulse impunément les
ocres précieux et safranés qui dominent la mer et la crainte.
Je vécus cette échappée aux confins de l'inhabituel.
Il n'est de pas qui ne fût accompagné de révélation...
D'entre la découverte et la surprise, mille fenêtres
ouvraient aux champs des labours, des semences, des moissons.
Je cherchai obstinément l'aire de battage ; mais en vain !
plusieurs fours aux maisons délabrées donnaient
une triste accolade. L'enclos déserté signait la fin
d'un long périple qui allait de la mer vers la mer, de la mer
vers les monts de la Terre du Commun.
Vives et nourries furent les émotions. Terreau des îles
plus que légitime. Et de renaître à cette fresque
éminemment pastorale, de cette terre d'abondance
et de provende où le hameau, le village, le bourg bâtissait jadis
chaque maison à la lueur de l'amitié, au chant de l'entraide
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CRISTIAN GEORGES CAMPAGNAC
http://marin56.canalblog.com/archives/2018/05/18/36415550.html
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