Je suis arbre. Arbre-sensation. Mon corps s’enracine. Mes pieds cherchent appui dans la terre humide et s’enfoncent par-delà les premières couchesencore visibles au-dessus du sol. Mes doigts se mêlent aux doigts du chêne,filaments et souches, tressages de végétaux, lianes et branchages invisibles à l’oeil égaré dans le vide. Je m’enroule à la sombre intimité végétale. Je m’infiltre. Chemin faisant, je creuse canaux et rigoles nécessaires à ma vie souterraine. Je bois à grands traits l’eau qui gonfle le tronc dont je sens toute la puissance
au-dessus de moi. Des ruissellements ténus irriguent les membranes ligneuses et les porosités, alimentent la sève. Je me coule dans l’arbre, me fonds à son corps de silence et de vent. Je m’enivre à son parfum de girolle et de cèpe. Je savoure la mousse de son suc. Je suis la source nourricière qui humecteses lèvres-feuilles. Et je m’élance. Je monte, silencieuse et sûre, le long de ses veines herbues. Je me dédouble et danse dans l’air du soir. Une lumière
dorée filtre entre la ramure. Je suis oiseau et nid. Je me love entre les branches les plus douces dans des courbes tracées par le temps. Je suis nid et oiseau. J’écoute le chant de ceux qui gîtent dans la même ramée. Je me fais silence pour entendre essaimer le vent.
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Sentir, seulement sentir ce désir-là de marcher à nouveau sur la route sombre, de renouer avec les feuillages argentés du myrte, le frissonnement tendre des bruyères, l'odeur humide des talus déchaussés par les coups des hommes, ressembler à la bogue verte qui déboule soudain devant moi, me faire caméléon du vent, rejoindre Andoar dans ses cimes, laisser le vide prendre place aux abords du non-désir. Je voudrais trouver le temps d'avant le temps de ma préhistoire inconsciente. Eros est mort ici, à la Croix. Une vipère gît sous la roche. Nid de fourmis agglutiné dans l'or de la plaie.
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ANGELE PAOLI
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