Ce que notre indifférence face à la mort des migrants en Méditerranée et la peur du "grand remplacement" disent de ce que nous sommes devenus...
La France, son identité, sa culture, son histoire, ses modes de vie, sa langue ne peuvent être menacés par l'accueil de 50 000 réfugiés par an. Ou 100 000. Ou même 200 000. À quel point faut-il douter de son pays et de soi-même pour être gagnés par l'angoisse ou "l'insécurité culturelle" face aux 0,1% ou 0,2% (ou même 0.8% pour reprendre les chiffres les plus farfelus) de migrants venant d'horizons différents chaque année?
Non, ce qui menace des siècles d'héritages humanistes, le legs des Lumières et de la Révolution, la tradition républicaine - notre véritable identité nationale - c'est bien plutôt notre repli sur nous-même, notre indifférence face aux centaines d'être humains mourant chaque mois dans la Méditerranée, notre incapacitéà nous mettre à la place des ombres de Calais, La Chapelle ou Vintimille, notre renoncement au message universel qui contribua à façonner la France pendant (au moins et bien plus en réalité) 250 ans.
Le mélange constamment répété entre réfugiés et immigrés, entre problèmes d'accueil des demandeurs d'asile et difficultés d'intégration de populations déjà là depuis longtemps (et parquées dans des ghettos) est le signe d'une confusion mentale générale. Cette confusion - savamment entretenue par des dirigeants politiques sans scrupules et des éditorialistes sans idées ni principes - vient du fait que nous ne savons plus qui nous sommes et ce que nous faisons ensemble. Des élites aphasiques et abouliques, incapables de définir un horizon commun, laissent les uns et les autres définir leur "être" et le nôtre par exclusion de l'autre, quand elles ne nous y poussent pas joyeusement.
S'il y a un "grand remplacement", c'est bien celui de nos principes humanistes par des valeurs d'exclusion et de repli, de siècles d'hégémonie culturelle progressiste par la doxa néo-réactionnaire, de la France ouverte qui nous a vus naître par une France fermée que notre apathie contribue à construire.
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RAPHAËL GLUCKSMANN
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Oeuvre Ahmad Moualla
Artiste Syrien