C'était un petit chemin de terre. Il serpentait à travers la plaine, à l’écart des grandes villes. Des talus broussailleux, des peupliers et des bouleaux, des rochers le bordaient. À l’un de ses méandres il frôlait une croix de pierre au socle tout moussu. Puis il partait se perdre quelque part dans la plaine, parmi les ronces et la poussière. Exténué par tant d’immensité il finissait par se dissoudre sous l’herbe rase et les cailloux ainsi que s’effacent les morts invités par la nuit de la terre au grand mystère de la disparition.
Car les chemins ont une vie, ils ont une histoire et un destin, comme les hommes. Et, comme les hommes, ils meurent un jour.
Leur histoire est liée à celle des hommes qui les ont tracés, à tous ceux qui les ont parcourus. Et ils ont un cœur, un cœur qui bat, tout résonnant des pas des marcheurs qui les foulent. La mort leur advient lorsque tous les désertent, que nul ne se soucie plus d’eux ; leur cœur se tait quand se taisent les pas.
Les chemins ont donc aussi une âme, et ils ont une voix. Une voix très ténue qui se lève parfois et se met à chanter, au bord extrême du silence.
Elle chante, la voix des chemins, les amours, les chagrins et les joies de tous ceux qui les ont traversés et dont ils gardent la mémoire.
Leur mémoire est fidèle, profonde comme les siècles.
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SYLVIE GERMAIN
« Les pas qui dansent aux enfer », in Immensités, Éditions Gallimard (1993), Collection folio, 1995, pp. 206-207.
Sur
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Oeuvre Yehouda Chaki