L’ai-je dit ?
Je l’ai dit souvent. Je le redirai. Je suis l’arbre et le sable. La pierre.Je n’ai guère fleuri ni porté de fruit.Le feuillage ne me pesait guère.Et sûrement qu’elle est perdue, la graine de ma race.Mais ce que j’ai chanté je l’ai chanté.Et ce que j’aurai dit sera dit. Si je ne l’ai pas labourée, ma terre, je l’ai chantée.Si je l’ai mal fauchée, j’ai parlé de ses fruits.Pas une herbe au talus que je n’aie respirée,Le moindre souffle d’air, j’en ai loué le bruit. Ma terre, mon pays, la parcelle et le pré, la haie, le taillis.L’eau, la fontaine, la rigole.L’étang, le ruisseau, la forêt. L’arbre, sa feuille, l’écorce.La graine, la fleur. Pays proche, pays lointain.Le fleuve, la source, la mer hauturière.Et la neige, la brume,Le soleil qui se lève et le blé qui fleurit.Les vignes que je n’ai pas vues, et le vin dans la cave,Le vin que je n’ai pas bu.Terre ronde entre les bords du ciel, courbe, vallée,Et la haute montagne et le pays de plaine, et la profonde mer,Terre, t’ai-je chantée? Ma terre abandonnée à la sauvagine,Les genêts qui t’ont nourrie, les longues ronces–terre de ce pays –Terre de toute la terre, rongée des hommes et des rats,De sel et de colère– terre qui roule toute seule au ciel comme une lune morte –Et la lune et les étoiles, Qui sont terre semblable,Autre terre– et le feu, ce qui éclate, ce qui luit –Ce qui hurle dans le silence– et ce qui ne dit rien –Et toi même, homme vivant, chair tendre, âme droitièreNe t’ai-je pas chantée, quand même! Que vous êtes ma voix, ma parole.Et que je suis le sang de votre sang.Voici mon fruit, voici ma fleur.Et mon feuillage. Je l’ai dit. Je l’ai dit souvent.Aussi longtemps que j’aurai un souffle de vieje le dirai encore..MARCELLE DELPASTRE.