Comme un vieux navire au mouillage, hésitant à lever l’ancre pendant que ses lumières vibrent sous les eaux, mes pensées prennent le large pour accoster sur mon étoile avec l’exigence qu’elle se nomme de mes éclats antérieurs à mon départ d’Alger. Seule Alger, l’amante, la muse, connaît mes aversions et mes penchants. J’avais pris contrat, la nuit, avec ses puits de silences et avais fait de son jasmin ma clause intime. Ainsi, je combinais ma vie à des surprises délicates qui m’enjolivaient continûment d’éclats immenses et qui m’offraient le privilège de me reproduire nouveau à chaque déception, à chaque douleur, avec une semblance de moi-même à l’état sobre et pur. Ce temps est loin.
Dans la clarté crépusculaire d'Evry, je murmure seul dans un bout de jardin des réminiscences griffonnées de bières et de vin dans l’antre du plaisir en souvenir d’autrefois. L'air de la souffrance est pressant comme un hymne éclaboussé de concessions absurdes, moins dignes à l’écoute, et qui peine à retentir quand je me tais en bile à la manière d’une ramille asséchée sous le vent, pourtant gracieux et folichon d'automne. Des eaux mystérieuses ondulent dans mon âme inondant mes passions discrètes d’amant imaginé, amusé d’un cépage à la treille nue. Isolé et reculé dans l’horreur du temps, je me hasarde à renverser le fatum creux à coups de Yesterday par des plongeons dans le passé désormais révolu avec envie de décrypter mon souffle pour le décharger du grognement sourd de mon éjection hors de l’univers dialectique du bien-être. Dans ma mémoire roulent mes révoltes passées et au devenir ahanant d’impatience. Hélas, beaucoup de substances me manquent par opposition à l’action car empoignées par les tentacules de l’éloignement. Des mots et des mots tempêtent dans mes tripes puis affluent dans ma bouche comme des vagues qui se brisent contre les digues et immédiatement après retournent se vautrer dans ma poitrine. Alors, j’y pense… La poésie ne répond pas aux nostalgies, ni au spleen ni au chagrin.
Les nuits finissent en aubes prises de l’orageux aquilon
Et les jours se lèvent de soleils exaltés mais sans rayons
Chaque soir, un jour décline, morne et sans musique
Ses couleurs sans éclats, désolées, déchoient en loques
Les saisons, identiques, dépitent par manque de charme
Des réminiscences anarchiques se brouillent de vacarme
Les estimes épurées et les visages désirés sont fermés.
Ne reste sinon que l’espoir nostalgique et l’amour géminés
Quand les souvenirs se réchauffent de silence en tumulte
L’exil est le vide où la mémoire sombre avec ses tempêtes
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DJAFFAR BENMESBAH
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Alger