Être, de la première heure, matinale, aurorale, fébrile ; la mer et le ciel se confondent sur la moire changeante et chatoyante de la lagune. Ils s'interpénètrent, en silence et nous confient tant de choses essentielles. L'instant est aux ocres chaleureux du petit matin, aux rochers mordorés de la côte occidentale et très découpée de l'Île de Corse.
Le chemin littoral consacre les accords complexes et mélodieux du long cordon lagunaire. Le temps s'y arrête, comme par enchantement poétique, ivresse romantique ... Le genévrier noueux, le lentisque pistachier, les massifs d'immortelles se partagent généreusement les strates de la dune que la mer et les vagues ouvragent et superposent sans fin. Algues, sable, végétaux durables, bois flottés, rochers, galets, le lumineux croissant de plage s'est doté d'un rempart naturel à toutes épreuves. La côte porte les stigmates des assauts d'une mer gonflée de colère !
Parfums de mangrove africaine ; le pourtour de la lagune interpelle. La similitude est frappante ; évasion, échappée belle aux pays des contes et de l'oralité, des lacs et des grands fleuves sertis de savanes primaires !
Point d'occupation humaine, aucune invasion ni de bâtis outrageants qui eussent dégradé et affaibli un site de toute beauté. Splendeurs de la mer, du rivage, de ces noces perpétuelles auxquelles Terre et Eaux nous convient. Partages. Il faut surtout préciser que les lieux sont protégés, auront été acquis par le Conservatoire du Littoral qui réalise en la matière un travail et un suivi salutaires de grande qualité...
La promenade se poursuit. Nous sinuons entre arbustes et arbres à baies. Le maquis littoral méditerranéen rayonne, s'éploie. Ainsi du domaine maritime légitime.
Les montagnes se détachent sur un azur roi et profond accrochant d'épais nuages en pelotes ouatées. Perspectives insulaires étonnantes que révèlent les heures crues de l'hiver. Tel est ce cadre magnifique laissé, confié à la nature harmonieuse et souveraine qui l'aime et le choie.
Rendu au sommet de la colline meuble et radieuse, au détour d'un arbre vénérable de Phénicie, la lagune apparaît, livre enfin ses secrets.
Un essaim de flamands roses repose sur un banc de sable. Des reflets de ciels uniques et complices subjuguent le réel. Les nuages s'y seraient immergés, semblent regagner la surface, s'éployer sous les eaux claires. Les grands limicoles sont là, regroupés et nombreux ; près d'une cinquantaine d'individus. La robe nous apparaît plus rose et la nuée de flamands, également. Rencontre une nouvelle fois féerique, inattendue. Saine récompense en ce jour d'hiver étrange, par la douceur inhabituelle de l'air qui ceint le vaste domaine et qui nous enveloppe.
Les grands oiseaux sont de passage ; est-ce là une autre escale, le même ensemble de flamands qui eu, au mois d'octobre dernier, comblé nos errances de l'autre côté du grand sud de l'île ? Sont - ils de nouveau en partance pour l'Afrique, s'apprêtant déjà et d'un commun accord pour leurs parades nuptiales ?
Ils se parlent, se nombrent, se cherchent en se déplaçant d'un bout à l'autre du groupe ; graciles et nonchalants, endormis, jamais agressifs, ils tissent avec leur cou un mystérieux lacis d'âmes et de silhouettes enchantées, oniriques. J'envie leur liberté. Cette liberté que le vol et les grands espaces accordent à la vérité, à la fidélité d'un dessein universel.
Je les photographie. Me viennent, me coulent en pensées tous ces mots que je couche maintenant sur le palimpseste des rêves. Comme nous, ne se disent-ils pas :
_ " Où allons - nous, d'où venons - nous, quand partirons - nous vraiment depuis que nous perpétuons l'immémoriale noria de la migration des âmes ? Comme un conte pour enfant, une Histoire sans Fin, à l'orée des mythes et des métamorphoses, je ne laisse plus de les observer, d'admirer la dive complétude de leur être aux mondes, d'embrasser l'énigme de ce fulgurant voyage.
D'où leur vient ce sens inné de la navigation hauturière, cette capacitéà recouvrer leurs escales disséminées sur la longue route de l'immanence, louant dès lors le cercle immuable des renaissances ?
Pour vous lectrices et lecteurs, à partager, ces images du Peuple Migrateur, ces moments magiques que le système cupide des choses éphémères détruit chaque jour, avec véhémence, impudence, l'insolence que le petit écran affiche chaque heure qui passe et trépasse ici-bas
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CRISTIAN GEORGES CAMPAGNAC
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Photographies C. Ortoli