Le monde au fond n'a pas changé ces dernières semaines
notre rapport à lui peut-être
ce qui le rend tout à coup différent il respire plus au large
il se sent plus allègre lui et tous les êtres qu'il abrite
comme s'il invitait chacun à faire la paix avec lui
De notre côté nous allons pleins d'interrogations
que voulons-nous
qu'attendons-nous de lui que désirons-nous entreprendre avec lui ?
Nous n'avons guère tenu compte des avertissements
de ceux qui nous annonçaient voici un siècle déjà
son désenchantement et son asphyxie
Nous avons continué de plus belle à le considérer
comme l'objet de tous nos calculs et de notre maîtrise
le réservoir inépuisable de notre avidité
Sommes-nous en mesure de l'envisager autrement désormais
de le réenchanter d'épeler jour après jour ses merveilles
de découvrir celles-ci engrammées en nous
surgissement de l'instant
parole originelle qui nous met au monde
Se taire et faire silence laisser surgir
ce tableau unique que nous portons en nous
toujours nouveau sous la palette des heures
réinventer avec lui les couleurs les paraboles du grain et de l'épi
de la vigne et de l'eau aimer la nature comme elle nous aime
Être ses poètes baptisés en son fleuve d'eaux vives
Nous avions cru pouvoir fabriquer le monde
c'est lui maintenant qui veut nous laisser croître en lui
semences et chants d'oiseaux arbres de ferveurs
marches souveraines
passants étonnés
Bien des vents contraires des forces adverses
nous dérouteront encore longtemps de la voie qu'il nous ouvre
Voici le combat qu'il nous faut mener mais d'abord en nous-mêmes
Risquons ainsi le plus précieux
laissons l'étoile en nous devenir enfant
ne nous laissons pas voler notre chance trouvons des chemins
des issues qui mènent enfin quelque part
partout les germes du bonheur
en toutes choses répandue l'âme du monde nous attend.
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JEAN LAVOUE
le Blavet, 22 avril 2020
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Photographie Laurette Peyraube