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C’est moi qui ai créé ces mots-là
avec mon sang, avec mes souffrances
ils furent ainsi créés !
Je le comprends, amis, je comprends tout.
A mes mots se mêlèrent des voix venues d’ailleurs,
je te comprends, amis !
Comme si voulant prendre mon vol, venaient à moi,
pour m’y aider, les ailes des oiseaux,
toutes les ailes,
ainsi vinrent ces mots étrangers
pour délier l’obscure ivresse de mon âme.
Voici l’aube, et il semble
que les angoisses cessent de resserrer
leurs si terribles noeuds autour de ma gorge.
Et pourtant,
ils furent créés
avec mon sang, avec mes souffrances.
c’est moi qui ai créé ces mots-là !
Des mots pour l’allégresse
lorsque mon coeur était
une corolle de flammes,
les mots de la douleur qui cloue,
des instincts qui vous rongent,
des élans qui vous menacent,
des désirs infinis,
des inquiétudes amères,
les mots de cet amour qui fleurit dans ma vie
comme une terre rouge emplie d’ombelles blanches.
Je ne pouvais les contenir, jamais je ne le pus.
Enfant, ma douleur fut un cri
et mon allégresse silence.
Plus tard les yeux
oublièrent les larmes
balayées par le vent soufflant du cœur de tous.
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PABLO NERUDA
Traduction Vicente Pradal
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