Crier à bout de souffle revient à déchirer les derniers copeaux d’ombre qui éclaboussentmes landes dévastées. Hurler sa rage clôture l’étouffement des griefs portés en bandoulière comme la nonchalance de son amour-propre. L’espérance prodiguée par la perte, n’est-elle pas sans conditions ? Je veux dire, l’espoir n’est-il pas fondéà partir du moment où il rivalise avec la réalité qui nous opprime ?
Consentir à quoi, à qui ? Je ne souscris pas forcément à mon ressenti. Comment se percevoir soi-même et de quelle conscience sommes-nous emprunts ? Il faudrait supposer l’unité de l’être pour pouvoir prétendre accueillir véritablement. Je crois plutôt que nous sommes des êtres fragmentés. Ne sommes-nous pas le regroupement du hasard en un lieu mobile ? Réduite à la simple échancrure de la volonté, la matière associée est une structure précaire. Bien souvent, il suffit de se couper légèrement le doigt pour s’imaginer que plus rien ne fonctionne correctement dans notre chair. Le corps unitaire est un précepte erroné. Les sens sont souvent de faux attributs et les jouissances quelquefois de cuisantes défaites. Mort, je ne connais pas suffisamment ce que cela signifie pour évoquer ce que l’on peut ressentir. Il semblerait que l’abîme soit une déchéance des verbes et des sentis, mais pouvons-nous le savoir avec exactitude ? J’avance, humblement, vers la porte de sortie, mais peut-être est-ce une issue pour l’osmose jamais conquise dans le monde réel. Est-ce donc la vie qui recule ? Ne serait-ce point la connaissance que l’on semblait avoir acquise par l’expérience ? Nous marchons, certes ! Nous avançons sans cesse à l’intérieur d’une boucle sans fin. Mon esprit se heurte toujours à l’a priori de l’histoire humaine qui nous rationne. La réalité me renseigne sur la défaillance face à nos propres natures.
De quel corps suis-je fait ? La chute de l’expérience acquise m’ôte, à l’instantané, toute emprise sur le devoir de mémoire auquel j’avais assigné ma raison. Mon identité corporelle navigue dans le reflet du regard extérieur. Je me construis dans la conscience collective et ma déroute advient lorsque solitaire j’évoque le sang qui me transfigure sans cesse. Je transfuge de l’enfance quelques stances élastiques. A la claire fontaine, mes yeux se sont brisés. L’eau qui coule sur les sentiers abandonnés emporte avec elle les refrains rassurants. J’égorge les sourires mourants. Demain, le vin saoulant crèvera l’escorte pure d’une joie déjà béante. Non, non, non ! Il faut vider les verres de Ciguë et courir vers d’autres fêtes. Je m’empresse à déserter la paille trempée du venin des contes de fée. Les sorcières seront débitées de la carte bleue des rêves innocents.
J’habite le corps déshérité du monde. Je suis mordu comme un fruit laissé sur la table. J’astique la lampe éteinte, le chiffon excise l’impureté de la lumière perdue. Un platane pousse sous ma poitrine et ses racines écrasent mon cœur. Le jour est à dix mètres, à cent lieux de la terre qui sombre comme une vague. Des alouettes chantent à tue-tête sur les remparts entourant les heures vierges. Je ne mangerais pas de ce pain là, disent-elles, en becquetant la mie qui chute de l’heure morte. J’ouvre mes yeux, un cendrier, copieusement rempli de lanternes mortes, s’écrase sur les mains jointes de la pendule lunaire. Des halos effervescents roulent jusqu’à mon front. J’épaule la fuite dont l’éloge démobilise l’attention. J’ai une erse entre les lèvres, ma bouche est un cerceau, le désarroi boude dans un coin. Des poussières vivantes s’immiscent dans les ombres déchues.
La parole est le dernier sanctuaire où se glisse la misère douce ; celle qui offre l’appui des miettes aux âmes égarées. Je crache les mots comme d’autres lancent des flammes. La bouche en feu, je cours à la rivière. Il ne reste que quelques pierres sèches et un filet d’eau pas plus gros qu’une allumette. La terre est asséchée, la pluie ne vient plus jusqu’ici.
Brèves passades, l’inconstance tonne, les sens détonnent et l’écriture pleure l’eau de mes pensées. Sauvages couleurs qui me touchent et me râpent avant de gorger les mots qui résonnent de la chair. Les astres blessés resplendissent dans leurs nullités à travers les camouflets d’autres idiomes furieux.
Mon corps se souvient et me parle. Le bouillonnement, les écumes, l’incessant va-et-vient des peaux renouvelées. Et puis, les coups de semonces, l’austère rigueur des cicatrices restées fragiles. Ma chair parle, raconte tout ce qui la traverse comme une rivière et tout ce qui s’est écrit dans ses fibres. La nature se transforme et moi aussi. Sujet éternel de moi-même, je me dénoue comme un écho grommelle sous le nœud qui l’étrangle. Mon anatomie sonde les déluges puis se décrispe. Peu à peu, mes os se rejoignent.
L’exil s’affole dans ses transhumances répétées. L’acte valide sans rechigner la marche récurrente à la recherche d'espoirs perdus. Il est des lendemains qui se perdent dans la nuit que l’on enjambe sans se soucier du noir brouillard que l’on traverse. J’essuie la pendule qui tinte les cinq doigts du regret. Des heures drapées de mélancolie s’égarent sous des nuées d’anecdotes houleuses. L’intime masque de la solitude sensuelle se désagrège petit à petit. Un printemps invalide décharge les larmes de la neige qui s’éloigne. Suis-je au carrefour d’un rêve éveillé où le réel côtoie l’excès d’une liberté d’action dans un miroir ébréché ?
La brutale expérience au revers d’une courbe, l’incurable devenu la sève du jour, j’obéis à l’indigence comme l’on se soumet aux troubles profonds du désastre. Estropié des mémoires chantantes, je dévisse comme une toupie en fin de course. Fiancéà la mort naturelle, j’évolue vers la conscience fatale. Mon handicap consent passivement aux limitations de son état. La normalité est d’être tel qu’on est. Tout le monde est malade du problème qui préoccupe le devenir de sa chair. La mienne suffoque dans l’espace clos du désarroi solitaire. Je suis la demi-portion du sourire. Tout ce qui me trouble excessivement m’est invalidant. La nuisance s’est répartie jusqu’aux frontières de la voix florissante du sortilège.
Corrompus par diverses blessures, mes états d’âme perlent au-dessus des silhouettes humaines. Je peine à satisfaire à la reconnaissance, à la valorisation d’une liberté conquise à d’autres territoires. L’idée du beau rejoint la déjection sans échapper à son effroyable destinée. La ressemblance gît dans un fossé macabre. Un monde de pantins désarticulés s’affole comme un troupeau de mouton lorsque que retentit le premier coup de tonnerre.
Aujourd'hui tout a disparu : passage insipide de l’heure sur la rampe tordue, le souvenir ronfleur des nuits où se perd le regard en soi. A distance, j’observe les ruines d’une audace désamorcée. Des monceaux d’inquiétude jonchent les parois des rêves douteux. Ma nature cassée puise à la treille des ombres le restant de lumières vives de l’été. Dans ma mémoire, des vétilles insolites habillent de tristes paysages. Mon corps est vexé, impotent, il s’agrippe à la cane des heures prospères. Je marche dans le titubement des glaires flottantes dans l’air émacié. Je bascule comme un navire frappé par les hautes vagues de pleine mer. L’« eugénisme*» de ma pensée écourte la présomption d’innocence. Je ne prévaux sur rien, je supplie la terre de conserver ses miracles au fond de ma gorge. Je ne distingue aucune supériorité face à l’abattoir des axiomes surchargés d’intentions belliqueuses.
Sautes désespérées, la raison du plus fort n’endigue pas celle du plus faible. Dans mon sang, une minorité silencieuse grève les chemins de « prise de tête ». Mon cœur se fraie une route parmi les haies et les ronces de la concupiscence des pensées vertueuses qui courtisent l’antidote à la décrépitude. Je refuse d’exclure. La discrimination sectaire contribue à l’avalanche d’injustices qu’aucune morale humaine ne peut soutenir. Un sentiment de haine, tout à coup ? Affreuse pie qui bat de l'aile, je saigne à cœur la stérilisation des différences et des guenilles suspendues aux fenêtres. Ma peau reflue du sang immortel des coquelicots bordant la folie meurtrière des hommes.
Combien faut-il se désaimer pour concevoir la mort des autres. La sélection naturelle est déjà un sacrilège impérieux. Pourquoi en rajouter ?
* "La science de l'amélioration des populations humaines, visant à donner aux races les meilleurs moyens de prévaloir plus rapidement sur les moins bonnes". - Francis Galton
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BRUNO ODILE
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