Ne plaignez pas le solitaire
car ses oreilles bourdonnent tout au long du jour
du bruit de mille vies fraternelles.
Le voilàà l'écoute du vent, de l'insecte et de l'herbe,
à l'écoute du merle.
Le voilà ivre du parfum tenace des oeillets,
léger dans la nuit fraîche, écoutant l'inaudible :
le balancement des fougères, les rêves craquants des
ormes,
la marche feutrée des étoiles, le lent mûrissement des
pierres.
Le voilà bleu dans l'averse du seigle inondant sa
poitrine
ouvert et propre,
voyageant au-delà de l'écorce jusqu'au coeur de l'arbre
comme à travers les cercles de son sang,
à l'écoute de sa voix profonde s'exhalant des mille
voix vertes de la terre.
Ne plaignez pas le solitaire
car il est roi dans son pays.
Il règne sur les granges où vole la poussière d'or.
Il commande une armée de haies, de fenêtres et
d'outils.
Il est maître de son voyage, maître du grain et de
l'ortie.
il se promène à l'aise dans les yeux de son chien.
Sans cesse il se répand ;
le jour est sa prairie.
Les heures comme des chattes se caressent à ses jambes.
Des arbres apprivoisés le couronnent.
Des pensées rapides comme des oiseaux l'escortent,
lui tissent un habit de joies insensées.
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JEAN LE MAUVE
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