Allo ?
(Une voix de femme dit :)
Jupe, robe, pantalon ?
(Je réponds rapidement sans sourciller)
Jupe ou robe
Jambes nues ? Collant ? Bas Dim up ? Jarretelle ?
Comme tu veux, mais habillées, oui habillées tes jambes
Chaussures ?
Escarpins, mais pas trop hauts ou ce que tu veux…
Le haut ?
Corsage, pull léger, tee-shirt… comme tu veux…
Maquillage ?
Pas trop. Juste esquissé, à peine visible…
Rouge à lèvres ?
Oui de la couleur naturelle de tes lèvres…
Cheveux, coiffure ?
Naturelle, floue
Parfum ?
Oui, mais discret.
Bijoux ?
Juste ce qu’il faut, pas de bracelets.
Où ?
A ce restaurant chic, rue Mignet, où je t’avais croisé pour la première fois.
Quand ?
Ce soir, à 20 heures.
Tu me diras un poème, à nouveau ?
J’essaierai
Tu seras plus gai que l’autre fois ?
J’essaierai
Et moi, comment ?
Féminine et joyeuse, insouciante, décontractée, naturelle…
../..
Amoureuse ? dis-je
../..
C’est con la Saint Valentin, je dis.
Tu trouves ?
Oui, c’est con ; cette histoire de cadeau ; cette histoire d’amour censée renaître de ses cendres ? Phoenix suprême ?
La vie peut être simple, tu sais, sans cadeau, sans amour vain ; juste toi et moi, pour une soirée. Je mettrai ma petite robe noire, des Dim up noirs opaques, mes créoles en or, et puis c’est tout… OK ? Et puis –puisque tu le veux – je me ferai « féminine », je minauderai, c’est bien ça ?
../.. (sourire)
Tu dis rien ?
Ça me va, dis-je.
Bon, je raccroche ?
Et moi ? Je dois être comment ?
Jeune, beau, riche, fringuant, volontaire, astucieux, bien habillé, décontracté mais bien habillé, plein d’humour : bref comme d’habitude… Non je plaisante. Attentif, voilà ! Toi, tu dois être attentif ! Il y a tant d’hommes qui ne le sont plus ! Bref, tu fais « attention », tu me regardes ! Tu m’admires ! N’est-ce pas ? Tu me parles en étant a-t-t-e-n-t-i-f …
Je t’ai toujours aimée, tu le sais !
L’amour c’est un flux et un reflux, tu le sais, n’est-ce pas ? Profites-en quand c’est le ressac qui vient vers toi.
…/…
Le sans-domicile-fixe se relève avec difficulté, ses yeux peinent maintenant à voir la gracile silhouette d’une jeune femme habillée d’une robe noire et qui s’éloigne vivement. Il ne distingue bientôt plus qu’un halo d’une noire luminosité. Depuis tout à l’heure Jean la regardait. Elle lui rappelait sa femme, décédée il y a cinq ou six ans. C’était la mort de sa femme, si brutale, si soudaine qui avait tout précipité : l’alcoolisme, le licenciement, le chômage puis la rue. L’abandon de sa famille et tout le reste. Il cherchait à mourir, lui aussi, maintenant, mais seul et ignoré de tous ; c’est ainsi qu’il le voulait. Il venait à la vue de cette jeune femme tout juste de se remémorer les conversations téléphoniques qu’ils avaient jadis lors de moments difficiles ; ils se réinventaient alors une jeunesse dans des rituels de complicité amoureuse.
Jean ne distinguait plus maintenant la silhouette frêle, il avait perdu ses lunettes, ou volé peu importe. Malheureusement. Il prit son sac-à-dos élimé, et divers plastiques remplis à craquer et se dirigea vers les chambres d’accueil pour la nuit. Le froid venait de tomber vite et son ventre avait faim.
Il eut envie de pleurer. Mais eut un sourire aussi, le visage charmeur de sa femme en tête.
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FRENCH PETER PAN
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