Au fond, la seule chose certaine est peut-être qu’au cours de l’année écoulée, il est devenu encore plus difficile d’être un homme, et que les difficultés ne seront pas moindres au cours de l’année qui vient. La crainte nous saisit devant l’inanité de ce qui s’offre à nous, et la crainte fait de nous des égoïstes, muets, sourds et aveugles à tout ce qui n’est pas le plus court chemin jusqu’aux abris. Faudrait-il donc mettre toutes nos énergies dans la construction systématique d’abris souterrains, bien convaincus que la seule chose qui vaille la peine d’être sauvée est la vie à tout prix — cette vie ne se distinguerait-elle en rien de celle du rat ?
La tentation est grande, mais il est encore possible de se consoler à l’idée qu’il existe tout de même quelque chose qui ne cède pas à la tentation de la mort, à savoir l’art et sa capacitéà tenir tête. C’est toujours sur un défi que s’appuient les œuvres qui importent, celles qui rendent l’être humain à la vie. Dans les époques où l’espoir paraît gonfler ses voiles au-dessus de l’horizon, l’art s’oppose à la mort qui est tapie dans le rêve d’un bonheur éternel. Aux époques de désespérance, il tient tête à la compagne du sentiment d’impuissance en osant seul soutenir le droit de l’être humain à s’émanciper de sa peur.
Souvenons-nous d’Isaac Grünewald qui, aux pires moments de la persécution des Juifs, défiaient les bourreaux de son temps en construisant son grand atelier. Et rappelons-nous tout ce qu’apporte de réconfort le simple mot d’esprit anglais, surgi au milieu de la terrible situation de la dernière guerre : la situation est sans issue, mais pas désespérée.
Au seuil de la nouvelle année, je ne ferai qu’un vœu : puisse l’art à l’esprit rebelle se perpétuer.
STIG DAGERMAN
Photographie David Seidner