La colombe partie dans le train de l'hiver
Amira,
Lorsque nos ainés s'en vont
Comme toi
Une migration sans fin commence en nous
Une certitude nous accompagne
Que tout ce qui est beau
En nous et autour de nous,
Excepté la tristesse,
S'en va
Sans jamais revenir.
Les grenadiers
Dont tu aimais les fleurs
Leurs branches se sont ramollies
Et les ombres les ont quittées,
Le chemin, les quinquinas
Et les ruisseaux
Tous sont partis
Après ton départ
Et ne sont plus jamais revenus.
En hiver
Arrivent des oiseaux étranges cherchant refuge
Parmi eux des cailles
Aux ailes colorées
Des oiseaux de proie
Et des oiseaux frêles et tristes
Qui nous captivent par leur bonté
Ils ramassent cailloux et graines
Tremblent sous le coup du froid
Et d'un profond sentiment d'exil.
Mais tous ces oiseaux partent
Soudainement
Ils viennent soudain en hiver
Et soudain ils s'en vont avec lui.
Ô Amira, j'ai un sentiment fort et étrange
Qui se renforce chaque hiver
Et devient plus étrange
Je sens qu'un jour tu reviendras
Avec ces oiseaux
Colombe d'olivier
Colombe charmante
Colombe parfumée
Colombe gracieuse, douce et inquiète
Qui se pose sur le cerisier de notre jardin,
Colombe qui ressent le froid mortel
L'exil mortel
Dont la nostalgie aux oliveraies est mortelle
Colombe qui sourit, les yeux emplis de jardins de tristesse
Qui soupire, des restes de joie dans son roucoulement.
Dès que je la verrai, je la reconnaîtrai
Je reconnaîtrai les colliers des catastrophes
Autour de son tendre cou
Je reconnaîtrai ses regards printaniers et purs
Ses regards chargés de rosée
Comme les rêves des lacs
Je reconnaîtrai ses pas veloutés et timides
Ses pas réguliers
Comme le souffle des semis de laitues
Je reconnaîtrai sa voix singulière couleur lilas
Sa voix mélodieuse
Qui, chaque fois que je l'entends,
Semble provenir d'un lieu profond en moi,
Lieu lointain de mon âme,
Lieu perdu et inconnu,
Cette voix qui m'atteint
Et que je salue et étreins
Avant qu'elle me parvienne
Je ne la rate pas
Je peux la distinguer
Parmi les voix de toutes les colombes du monde
Rassemblées en un seul jardin.
Lorsque je la verrai, ma main ira
Se poser sur mon cœur
Mais je ne lui laisserai pas voir
Les larmes dans mes yeux
Ni les larmes de joie de l'avoir retrouvée
Ni les larmes de ma peur
Ni les larmes des années de tristesse
Ni celles de mes années de souffrance.
Mon sang affluera dans mes veines
Pour aller à sa rencontre,
L'accueillir
Et célébrer son retour.
Elle aussi nous reconnaîtra
Tout la guidera vers nous:
Notre chagrin
Notre attente
La nostalgie
Le crépuscule et l'ardeur
La nuit
Les nuages et l'herbe
La forêt
Les saisons
Les routes
Et les fleuves
Elle nous reconnaîtra et elle pleurera
Elle se souviendra de nous et elle pleurera
Elle ramassera les cailloux et les graines
Et elle pleurera
Elle tremblera de froid
De la profondeur de l'exil
Et elle pleurera.
Nous lui parlerons des champs de chardons
Des fruits de coloquinte
Des crimes et des vents
Des griffes de la dispersion
De la cruauté de la nuit
De l'ardeur des soirs
Nous lui parlerons de la défaite
De l'amertume et de la perdition
Nous lui rappellerons les bourgeons des oliviers
Et elle pleurera.
Elle ne nous niera pas
Elle ne nous craindra pas
Et de nous elle ne s'éloignera pas
Mais soudain elle partira
Comme elle est venue
Car l'hiver
Qui l'a amenée
Un jour repassera par notre jardin
A la vitesse d'un train
Alors elle se réveillera
Et terrorisée elle pleurera
Elle s'accrochera à l'une de ses fenêtres
Et pleurera
Elle s'éloignera
Des larmes dans ses yeux chéris.
Amira,
Lorsque nos aimés s'en vont
Comme toi
Une migration sans fin commence en nous
Une certitude nous accompagne
Que tout ce qui est beau
En nous et autour de nous,
Excepté la tristesse,
S'en va, s'éloigne,
Sans jamais revenir.
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TAHA MUHAMMAD ALI
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Oeuvre Goxwa