(fragment)
Pour Boris Pasternak
Dans un passé encor récent,
Le soleil réchauffant les pierres,
La terre brûlait mes pieds
Nus tout couverts de poussière.
Et je gémissais sous les tenailles du froid
Qui m’avaient arraché ongles et chair,
Je brisais mes larmes avec la main,
Non, ce n’était pas en rêve.
Là-bas dans des comparaisons banales
Je cherchais la raison des coups,
Là-bas le jour même était supplice
Et arrangement avec l’enfer.
J’écrasais sous mes mains terrifiées
Mes tempes blanchies et en sueur,
Et ma chemise salée
Se cassait fort bien en morceaux.
Je mangeais comme une bête, rugissant après la nourriture,
Ce m’était merveille des merveilles
Qu’une simple feuille de papier àécrire
Tombée des cieux dans notre triste forêt.
Je buvais comme une bête, lapant l’eau,
Je trempais mes lèvres enflées,
Ne vivait au mois ni à l’année
Et prenais mon parti des heures.
Chaque soir dans la surprise
De me savoir vivant,
Je me disais des poèmes,
J’entendais à nouveau ta voix.
Je les chuchotais comme des prières,
Les vénérais comme une eau vivante
Et dans cette lutte gardais leur image
Et leur fil conducteur.
Ils étaient ce lien unique
Avec l’autre vie, là-bas
Où le monde nous étouffe sous son ordure,
Où la mort se déplace sur nos talons…
.
VARLAM CHALAMOV
.
Oeuvre Marna