La terre est fourbue de catastrophes, de famines, de guerres, de dominations très injustes, de mœurs sanguinaires, de répressions injustifiées, d’atrocités sans noms, et de quelques autres acraties belliqueuses.
Des moments de grandes lassitudes augmentent ma générositéà l’égard du vide. Des moments où je caresse l’idée affreuse de l’anonymat de mes propres souffles. Des tempos où tout n’est pas rose et où la joie a du souci à se faire.
Tout est surfait dans ce monde en panique. Des ivresses naviguent sur des champs de mines, des cafards survolent le désemparement de l’innocence et la nacre pure des défaites humaines s’enfonce dans la boue des océans de promesses. Affamé par je ne sais quel idéal, l’homme prisonnier de la satisfaction coûte-que-coûte écoute les battements d’ailes des anges qui passent. Avec mes congénères, je navigue sur des eaux oublieuses où nul sursaut n’enjambe l’ecchymose des heures blanchâtres. Sur la longue route de la soif, l’oasis étanche le désir à coups de ressacs volubiles. Les images composent le puits dans lequel je m’engouffre. Un calme noir réveille ma chair dans une dimension qui la désempare. De brefs échos me rappellent la verte prairie des hommes et des femmes solidaires dans l’effort. Je tiens de mémoire que je dois m’oublier dans ce désordre tremblant. Ma vie est une lèpre dévorante et je suis agenouillé face à la guérison.
La terre ressemble à une planète d’exil. Je me diffuse dans la motte que le progrès refuse de travailler. Les médias me télégraphient l’alphabet à ingurgiter et je vomis l’excès comme un nourrisson recrache une overdose de lait. Que fais-je ici hérissé d’antennes et de radars comme un avion survole un lieu de naufrage ? Il me semble être plus consistant dans la fatalité que dans l’illusion des vaisseaux fantômes qui lèvent l’ancre sans moi. Sur l’île du monde, je cherche les trèfles à quatre feuilles qui n’existent plus. L’odyssée de la vie rabat ses perles bleues pour les enfiler sur l’arc-en-ciel d’un destin moulu par les rames d’une pirogue écervelée. Des aigreurs torrides remontent le cours des marais où j’ai perdu l’étincelle qui me guidait.
La disposition dans laquelle je me trouve remet en cause le consentement au meilleur des mondes possibles. J’exclus toute pilule du bonheur si elle se résigne à l’exultation des sens soumis à un environnement socioculturel. La volonté surpasse la raison. L’immanence est transcendance. Mon existence ouvre un chemin sans interrogation préalable, les explications précèdent toute situation. Questions et réponses traquent l’énergie sous la canopée des résistances invisibles. La vie qui se déploie dans mon sang me cloue à la racine de l’humanité. Quel choix doit-on énoncer entre douleur et souffrance et amour et bonheur ? L’évidence nous résume. Je trouve parfois dans les ombres maudites un souffle régénérateur. Mon cœur est un mystère, mon cœur est une prière. Pour m’étirer jusqu’à demain, l’aube aura besoin de toute sa magnificence. L’avenir me crie des morceaux d’infini et je redeviens le vagabond de la distance insaturée.
«La route qui monte et qui descend est une ; c'est la même.» - Héraclite d'Ephèse
Est-ce l’air qui nous porte ou la flexion de ses combinaisons ? J’étais armé de mon cercueil dès le premier jour où la route s’est rompue. J’habite l’oxygène vital et la haute forme sombre de la singularité. Singulier, je le suis par défaillance. Tous les miroirs élastiques où l’homme se reflète m’irradient. Dans les préludes de l’émotion, j’expie les brillances de la souffrance qui me rehaussent. J’ai appris la langue des épines avant celle de la rose. Je me succède dans un combat qui n’est pas le mien, des siècles de préparations gazeuses se retirent, dépourvus de tout. Je ne suis qu’un déserteur dans la fissure de mes entrailles. Des fractions de peur insérées à la poussière inhibent les tic-tacs de la pointe sèche qui tourne dans ma poitrine.
Longtemps, j’ai fait le tour des ombres à la recherche d’une respiration joyeuse. Tous les matins, au bout du sommeil, j’ai suivi les traits de lumière qui perçaient les volets. Dans la toux d’un silence charognard, la marche instable de la clarté rompt dans la vacuité existentielle. La nuit tout est monochrome et l’impatience pèse sur l’équilibre de la terre. Toutes les proportions se fondent dans la matrice du noir. Par ici, des monceaux de misères accrochées à la salissure des rues. Par-là, des regards infatigables escaladant les miradors du luxe. J’ai mangé aux empreintes des images que la terre habitée me renvoie. Dans l’indigeste arrogance de mes semblables, j’ai tourné de l’œil comme une mouche s’écroule dans un espace vaporisé d’aérosol. De ce lieu rêvé qui me tend les mains, une syntaxe volontairement forcée m’a ligoté l’esprit.
Je suis enfermé dedans, dans une mosaïque composée d’éclats disparates, du désespoir à une amertume teintée de dérision, de la jubilation à la tristesse. Mais, maintenant que j’ai lié amitié avec moi-même, ayant connaissance de mon groupe sanguin, je saisis ma vie dans son non-être et, par moment, je marche à ma rencontre dans une rigole asséchée.
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BRUNO ODILE
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Oeuvre Werner Hornung