Rivière trop tôt partie, d'une traite, sans compagnon
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion
Rivière où l'éclair finit et où commence ma maison
Qui roule aux marches d'oubli la rocaille de ma raison.
Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété.
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta moisson.
Rivière souvent punie, rivière à l'abandon.
Rivière des apprentis à la calleuse condition
Il n'est vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.
Rivière de l'âme vide, de la guenille et du soupçon
Du vieux malheur qui se dévide, de l'ormeau de la compassion .
Rivière des farfelus des fiévreux, des équarrisseurs
Du soleil lâchant sa charrue pour s'acoquiner au menteur.
Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards éclos
De la lampe qui désaltère l'angoisse autour de son chapeau.
Rivière des égards au songe rivière qui rouille le fer
Où les étoiles ont cette ombre qu'elles refusent à la mer.
Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux
De l'ouragan qui mord la vigne et annonce le vin nouveau
Rivière au coeur jamais détruit dans ce monde fou de prison
Garde-nous violent et ami des abeilles de l'horizon.
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RENE CHAR
«Le Soleil des Eaux», Editions Gallimard
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