Il était parti à l'automne dans le haut-pays où règne
Le maître des taureaux des champs et des hommes
Aux lieux sauvages des forêts et des pâturages
Pour ramener en radeau les troncs d'arbres abattus
En quête son père et moi avons remonté le fleuve
Et trouvé l'aveugle accouchant dans les herbes
Sa belle et lui avaient trouvé refuge chez le guérisseur
Empêché par le seigneur de descendre libres le fleuve
Ici les sons et les odeurs se parlent en contrepoint
L'eau murmure aux arbres qui conversent
Avec les oiseaux qui répondent aux hommes
L'univers entier est lié dans le souffle du vent
L'amour doit être plus fort que toutes les vengeances
Dit celui dont la bonté est une conquête de l'esprit
Dans l'hiver le vaisseau de la mort emporta le père
Bientôt la nature jaillit dans le dégel du printemps
Un matin le ciel bruissa dans les frémissements
Du vent faisant chanter la lyre des arbres nus
Les sapins craquaient comme des mâts de navire
Le printemps montait dru des forêts et des eaux
Les galopades et les hennissements ardents du fleuve
Faisaient sous le radeau un bruit d'écume de joie
La belle le garçon et moi flottions vers notre pays
Les eaux suivent leur pente qui est celle de l'amour
L'aveugle m'ouvrit ses bras souples comme des ailes
Je la couchai dans l'herbe pour y faire un vrai nid
Forêt oiseaux vents entonnaient le chant du monde
Je suis l'homme du fleuve on m'appelle bouche d'or.
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JACQUES VIALLEBESSET
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Oeuvre Jean Lurcat