Quand j'ouvre l’Odyssée
pour t'en lire une page
ne me demande pas
à moi qui fus déjà
Hamlet & Gulliver
-tant d'autres personnages-
d'être celui que j'ai cherché
avec les yeux de Télémaque
Toi l'enfant de six ans
& moi le vieux marin
de siècles de littérature
qui durant sa vie affréta
tant de contes corsaires
nous voici une fois de plus
embarqués tous les deux
sur la même émotion
sur le même poème
Il nous faudra
contourner des charmes sournois
& sauver de philtres profonds
notre tendre lucidité
Il faudra parfois résister
parfois céder ou renoncer
pour se faire des forces neuves
essayer toujours de prévoir
les caprices des magiciennes
& les desseins des vents
ne jamais laisser s'envoler
la fraîche occasion d'un départ
Il nous faudra
faire & défaire
des pactes innombrables
avec les humains & les dieux
nous rappeler des ruses
qu'on n'apprend que chez les oiseaux
Comment aller à l'essentiel
quand il chante dans chaque vers ?
Le fils cherche son père
le père vers son fils revient
Ils sont tous les deux les pantins
d'une pathétique distance
Eloignés l'un de l'autre
ils vivent l'un pour l'autre
ils vivent l'un par l'autre
dans chaque instant chaque pensée
chaque pulsation de leurs tempes
La guerre les a séparés
monstres magies dieux & tempêtes
s'acharnent quand revient la paix
à prolonger pour eux l'attente
à faire que chacun
-chaque jour un peu plus-
tragiquement devienne
la fiction de l'autre
Mais quand enfin Ulysse
retrouve Télémaque
Ulysse n'est plus Ulysse
& son fils n'est plus un enfant
Pénélope est une autre femme
Un père paternel
un père fabuleux
plus vrai que son vrai père
prend par la main son fils
l'emmène loin d'Ithaque
Ulysse devait-il périr
avant d'avoir revu son île ?
Se briser avec son vol fou ?
Il pourrait être de passage
Ithaque serait une étape
Ulysse embrasserait sa femme
Ayant fait couronner son fils
ayant enterré son vieux chien
il pourrait enfin repartir
vers l'Aqui Nada de ses rêves
.
RAYMOND FARINA
.
Oeuvre Margarita Sikorskaia