Comme la rivière se remplit de brindilles par un jeu d’enfants,
d’une rive à l’autre le jour étend sa voix, la tienne.
Je ne sais rien des colombes qui passent sur ton front lorsque la nuit s’endort
ni des clefs tentant de t’arracher pour l’autre vie.
Je sais des syllabes dans l’ombre, courant inlassables sur les rails,
quand dans la plaine la ville n’est plus qu’une île sans sommeil.
Et par son accent navigue ta voix, indéclinable et fertile,
plus proche de la terre que des hautes sphères invisibles.
Spectacle comme la flamme qui monte sans traces, sans oiseaux,
ma vie te suit à travers ces terrains vagues. Elle te suit sans peur.
Elle te suit sans les pauses que la corde, la chemise et le pollen imposent.
Elle est une, toutes; elle est vraie et non : aveugle et lucide
comme le dos de ce chien où les paroles me figent.
L’été, ses trottoirs bienveillants de fruits, ses passants,
les lance-flammes bruyants, les claviers noirs et blancs des eaux…
suffisent-ils à inonder la nuit, à abandonner ta voix qui nous enchaîne ?
De son enclos d’avril l’automne envoie un long mugissement.
Cernes de scarabée, larmes d’un homme rabaissé.
Me voici, nourrissant jour après jour l’espérance couchée sur le fumier,
fébrile parmi les sexes d’où les fumées s’élèvent,
sans ascension possible, sans retours à venir. Il n’y reste que le regard,
attentif, des bourgeons soumis, de la racine innocente,
leur vision d’une universelle araignée tisserande …
Le jour amarre et je saute à terre. Les étoiles
rampent encore sur les eaux
qui s’éveillent à ta voix, qui est celle du monde.
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PABLO URQUIZA
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Oeuvre Marie Spartali Stillman