Une table tout près, une lampe très loin
Qui dans l’air irrité ne peuvent se rejoindre,
Et jusqu’à l’horizon une plage déserte.
Un homme à la mer lève un bras, crie: « Au secours!
Et l’écho lui répond: « Qu’entendez-vous par là? »
...
Lorsque le noyé se réveille au fond des mers et que son cœur
Se met à battre comme le feuillage du tremble
Il voit approcher de lui un cavalier qui marche l'amble
Et qui respire à l'aise et lui fait signe de ne pas avoir peur.
Il lui frôle le visage d'une touffe de fleurs jaunes
Et se coupe devant lui une main sans qu'il y ait
une goutte de rouge.
La main est tombée dans le sable où elle fond sans un soupir
Une autre main toute pareille a pris sa place et les doigts bougent.
Et le noyé s'étonne de pouvoir monter à cheval.
De tourner la tête à droite et à gauche comme s'il était au pays natal,
Comme s'il y avait alentour une grande plaine, la liberté,
Et la permission d'allonger la main pour cueillir un fruit de l'été.
Est-ce donc la mort cela, cette rôdeuse douceur
Qui s'en retourne vers nous par une obscure faveur?
Et serais-je ce noyé chevauchant parmi les algues
Qui voit comme se reforme le ciel tourmenté de fables.
Je tâte mon corps mouillé comme un témoignage faible
Et ma monture hennit pour m'assurer que c'est elle.
Un berceau bouge, l'on voit un pied d'enfant réveillé.
Je m'en vais sous un soleil qui semble frais inventé.
Alentour il est des gens qui me regardent à peine,
Visages comme sur terre, mais l'eau a lavé leurs peines.
Et voici venir à moi des paisibles environs
Les bêtes de mon enfance et de la Création
Et le tigre me voit tigre, le serpent me voit serpent,
Chacun reconnaît en moi son frère, son revenant.
Et l'abeille me fait signe de m'envoler avec elle
Et le lièvre qu'il connaît un gîte au creux de la terre
Où l'on ne peut pas mourir.
...
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JULES SUPERVIELLE
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Oeuvre ?