Après une visite controversée dans l’île voici un an, vécue souvent comme une humiliation par l’opinion insulaire et encore plus par l’exécutif territorial, Emmanuel Macron avait l’occasion, grand débat aidant, de renouer le fil du dialogue. Pour ce faire, fallait-il encore accepter une confrontation sur toutes les questions, y compris celles qui nourrissent les crispations entre l’île et l’État. Gilles Simeoni dégaine un argument massue lorsqu’il compare à l’aune de l’histoire le traitement dont la Corse fut l’objet sous François Mitterrand alors que les nationalistes étaient minoritaires et l’approche du dossier insulaire par le président Macron alors que ces mêmes nationalistes sont désormais aux commandes. Le Président socialiste n’hésita pas alors à offrir un statut particulier, à supprimer la cour de sûreté de l’État, à rouvrir l’université, autant d’avancées qui se firent alors sans qu’autonomistes et indépendantistes ne disposent du poids électoral qui est le leur aujourd’hui.
Il veut bien avancer, mais dans le sillon de sa socialisation politique qui n’est autre que celle des élites dont il est le produit : bruxelloises par absence d’imagination...
Prudent mais connaissant son histoire, François Mitterrand avait compris qu’en Corse la politique était indissociable de la culture et qu’en conséquence il fallait s’adapter au terrain, bien plus que d’imaginer adapter la Corse à une république qui ne lui offrait plus, décolonisation oblige, les grandes aventures que l’Empire lui avait prodiguées. Les Corses dans leur île avaient pris conscience de leur identité, de la déshérence de leur territoire, et ne trouvant plus dans l’État un levier à leur mobilité individuelle y voyaient dorénavant un obstacle à leur destin collectif. Macron, lui, n’a pas ce background. Il s’est construit, comme nombre de jeunes décideurs de sa génération, loin des résiliences identitaires, historiques mais tout tourné vers un horizon qu’il n’envisage qu’au prisme de la mondialisation, de la technologie et de l’économie. Il veut bien avancer, mais dans le sillon de sa socialisation politique qui n’est autre que celle des élites dont il est le produit: bruxelloises par absence d’imagination, technocratiques par éducation, un brin sociétales pour être «tendance» et conservatrices pour le reste...
Confrontéà ce que l’on appelait dans d’autres temps, dont il ignore tout, le «problème corse» Emmanuel Macron se crispe avec le réflexe du haut fonctionnaire qui en fin de compte constitue l’archétype de la forge qui l’a générée. Fils de Juppé, petit-fils de Giscard, le chef de l’État est à lui tout seul la parabole finissante d’une lignée qui se cherche, à travers la com’, un second souffle.
À l’épreuve de la petite île, rétive elle aux idées arrêtées, soucieuse du solide des identités quand les marcheurs fluides n’y voient qu’un obstacle à leur fascination pour l’idéologie de la start-up, Macron se cabre et révèle cette part de sa personnalité qui entrave le progrès dont il se revendique... indûment. Toutes les îles européennes sont autonomes, à l’exception de la Corse, dont l’histoire pourtant, la géographie, la culture poussent inévitablement dans cette direction. L’autonomie n’est en soi qu’un mode de gouvernance qui , loin de remettre en cause l’appartenance à l’État unitaire, vise à articuler la relation d’une spécificité, difficilement niable, à un ensemble plus vaste, la République en l’occurrence.
Le Président oublie ce que la politique doit au symbolique.
La crispation macroniste traduit cette méconnaissance de l’histoire qui affleure souvent dans la mécanique de la majorité. La Corse a gagné en apaisement depuis quelques années ; mieux elle s’est efforcée de régler par les urnes plutôt que par les bombes ses questions existentielles. En déclinant l’invitation des élus territoriaux à se rendre dans leur Assemblée, instance de la légitimité insulaire, lieu de l’imaginaire de la «consulte»à laquelle les Corses ne manquent jamais de se référer quand il s’agit de s’affirmer, le Président oublie ce que la politique doit au symbolique. Il prend le risque de la régression en lieu et place du progressisme. Pire: il accrédite l’idée d’une «remastérisation» de ce dernier à des fins bien plus de marketing que de convictions. Il trahit surtout les contradictions d’un macronisme qui, corseté au prisme de Maastricht, compense son déficit criant de souveraineté par un excès de dirigisme. Avec l’Affaire Corse, Macron contredit tout à la fois son pragmatisme supposé, son progressisme affiché, son libéralisme revendiqué au risque de s’hypertrophier dans l’image de l’homme qui n’entend pas...
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ARNAUD BENEDETTI *
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/en-corse-la-strategie-perdante-d-emmanuel-macron-
* Arnaud Benedetti est professeur associéà l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Le coup de com’ permanent(éd. du Cerf, 2017) dans lequel il détaille les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.
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